De la corruption et du mépris affiché par les policiers et les douaniers aux frontières internes de l’UEMOA

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Carte des pays membres de l'UEMOACe récit et la réflexion qui s’ensuit sont le témoignage d’un de nos auteurs, de retour d’un voyage entre le Niger et le Togo.

 

Ceux qui ont une fois pris la voie terrestre pour aller du Niger au Togo en passant par le Bénin l’ont certainement vécu. La corruption et le mépris affiché par les policiers et douaniers aux frontières internes de l’UEMOA ne sont pas qu’une simple rumeur, c’est le calvaire quotidien des milliers de citoyens qui traversent chaque jour les postes de contrôle internes instaurés entre les pays de la communauté.

J’ai moi-même vécu cette situation et j’aimerais par la présente note partager avec vous mon cri de colère et les réflexions que cette expérience m’inspire.

 

De Niamey à Lomé, un parcours du combattant de 1240 km…


Tout d’abord un petit tour de mon périple de Niamey à Lomé, en bus. Le premier point de contrôle de police aux frontières est à la sortie du Niger à Gaya. Les voyageurs munis d’un passeport sont pris en charge par un agent de la police des frontières qui remplit un formulaire en posant quelques questions sur l’identité du voyageur et les motifs de son voyage puis appose le tampon de sortie du territoire nigérien. Les autres voyageurs (ceux qui ne peuvent présenter un passeport) défilent devant un autre agent auquel ils présentent leur pièce d’identité ou à défaut payent 1000 FCFA pour passer.

Ce point de contrôle passé, il faut traverser le pont (qui sert de frontière) à pied pour se retrouver de l’autre côté au Bénin au poste de contrôle de Malanville. Là, deux agents habillés d’une blouse jaune barrent le chemin. Il faut leur présenter un carnet de vaccination international à jour ou à défaut payer 500 FCFA pour passer (sans avoir reçu le moindre vaccin !). Vient ensuite la police des frontières béninoise. Les voyageurs munis d’un passeport sont orientés vers un bureau à l’écart. Là, un agent leur appose le tampon d’entrée sur le territoire béninois contre le paiement d’une somme de 500 FCFA. Les autres voyageurs ne disposant pas de passeport défilent devant un agent debout derrière un muret. Ils présentent une pièce d’identité valide ou payent 1000 FCFA pour passer. Comme pour le Niger, aucune justification, aucun enregistrement et aucun reçu n’est produit pour les sommes perçues par les agents. Ces derniers tiennent l’argent dans leur main, le mettent dans leur poche ou dans leur tiroir lorsqu’ils sont derrière un bureau.

Le bus attend les passagers dans le territoire béninois juste après le poste de contrôle. Il klaxonne impatiemment comme pour dire « gare à ceux qui trainent, le bus ne les attendra pas ». Une fois les passagers réinstallés, le bus démarre pour une traversée du Bénin jusqu’au poste de contrôle de Hilla-Condji à la sortie du Bénin pour aller vers le Togo. Là aussi, il faut passer les contrôles pour la sortie du Bénin. Là aussi, il faut défiler devant un agent, lui présenter sa pièce d’identité valide ou à défaut payer 1000 FCFA pour passer. Nous lui présentons nos passeports moi et ma femme. Il demande 500 FCFA par passeport. Nous osons la question qui nous taraudait depuis le début : pourquoi faut-il payer 500 FCFA alors que nous avons nos passeports ? Il nous orienta vers un bureau à  l’écart où il fallait demander le tampon. Là nous trouvons deux agents à la mine renfrognée. Nous présentons nos passeports au premier. Il demande 2000 FCFA par passeport. Nous lui demandons le pourquoi. Il répondit que c’est « comme ça », que c’est pour le tampon. Nous rétorquons qu’à l’entrée nous avons déjà payé 500 FCFA et pourquoi ce serait 2000 FCFA encore à la sortie. Il commence à s’agacer et puis nous commençons à craindre que le bus ne reparte sans nous. Nous payons du coup mais lui demandons un reçu pour les 4000  FCFA  pour nos deux passeports. Il hésite un instant, ouvre son tiroir, le referme puis pose les mains sur sa tête visiblement contrarié. Il passe nos passeports au second agent qui lui affirme de manière catégorique qu’ils ne donnent pas de reçu. Nous lui rétorquons que nous en avons besoin pour nous faire rembourser nos frais de voyage par nos entreprises. Il nous dit de leur montrer le tampon de sortie du territoire sur lequel il n’y a aucune indication du montant perçu. Au vu du refus de l’agent de nous fournir un reçu et de peur de rater notre bus, nous n’insistons pas.

Nous arrivons de l’autre côté à l’entrée du Togo au poste de Sanvee-Condji. Là aussi il faut passer devant un agent de la police des frontières et lui présenter sa pièce d’identité ou à défaut payer 1000 FCFA pour passer. Nous présentons nos passeports à l’agent qui nous demande le motif de notre voyage puis nous laisse passer. Nous nous demandons ce qu’il en est du tampon d’entrée sur le territoire togolais. Nous passons devant un hangar où les agents dormaient à point fermé. Le bus klaxonnaient déjà à tue tête. Nous filâmes donc le rejoindre et reprendre la route pour Lomé.

 

Au retour, c’est le même scénario avec en outre l’entrée en scène des douaniers.  Dès le départ de Lomé, le chauffeur annonce : il faut que chacun des 58 passagers cotise 2000 FCFA pour les douaniers. Les passagers refusent. Il explique qu’il faut au minimum 35 000 FCFA et 15 000 FCFA pour deux postes de douanes au Bénin et 10 000 FCFA pour ceux du Niger. S’ils ne reçoivent pas ces sommes, ils soumettent le bus à une fouille minutieuse en prenant tout leur temps pour retarder le bus le plus possible.

Certains passagers rétorquent que c’est aux commerçants de payer car c’est eux qui ont des marchandises à dédouaner. D’autres avancent que la compagnie de bus doit aussi participer car elle transporte des bagages pour sa messagerie. S’ensuivent des discussions houleuses entre passagers sur le fait de payer ou pas. Finalement on demande à chacun de payer ce qu’il peut. Un passager zélé se charge de collecter l’argent en priant de tous les saints les récalcitrants pour un petit geste qui évitera à tous de passer la journée bloqués au poste de douane. Il réussit à collecter 44 500 FCFA.

Au premier poste  de douane dans le territoire béninois, l’apprenti du bus sort avec un classeur des autorisations du véhicule et remet les 35 000 FCFA au douanier assis sous un hangar. Ce dernier ne prend même pas la peine de se lever. Il empoche l’argent et laisse le bus continuer sa route. Au poste de douane suivant, toujours dans le territoire béninois, il n’y a plus assez d’argent. Il ne reste que 9 500 FCFA de l’argent collecté. Cette fois, le chauffeur doit descendre lui-même pour essayer d’apaiser les douaniers. Un passager visiblement habitué du trajet, s’exclame que l’on est tombé sur le pire des douaniers du poste. Effectivement, le douanier s’avère coriace. Non content de la somme que lui propose le chauffeur, il monte dans le bus comme pour faire peur aux gens en menaçant de contrôler le bus. Le chauffeur le suit en le priant. Ils redescendent du bus tous les deux puis continuent à discuter sous le hangar des douaniers. Finalement, le chauffeur glisse discrètement la somme dans la main du douanier qui met de suite les billets dans sa poche. Nous repartons.

En traversant le Bénin, nous dûmes nous arrêter à toute une série de points de contrôle visiblement improvisés. Arrivés au poste de douane du Niger à Gaya, il ne reste rien de l’argent collecté et aucun passager ne voulut rajouter de l’argent, la plupart disait n’avoir déjà plus rien. Les douaniers soumirent donc le bus à une fouille minutieuse. Quelques passagers durent payer pour avoir transporté des marchandises. Cela prit un peu de temps mais, entrés au Niger vers 5h du matin, nous pûmes repartir pour Niamey dans la matinée vers 8h.  En tout, partis de Lomé vers 10h du matin, nous arrivâmes à Niamey le lendemain vers 14h.

Si on résume les sommes payées par moi et ma femme pour l’aller-retour aux postes de contrôles:

Aller

-       Entrée Bénin : carnets vaccination 1000 FCFA, Tampons passeports 1000 FCFA

-       Sortie Bénin : carnets vaccination 500 FCFA, Tampons passeports 4 000 FCFA

Retour

-       Sortie Togo: Tampons passeports 4 000 FCFA

-       Entrée Bénin : carnets de vaccination 1 000 FCFA

-       Sortie Bénin: carnets de vaccination 1 000 FCFA, passage sans pièce d’identité 2 000 FCFA (fatigués de payer 2000 FCFA par passeport nous avons préféré passer sans pièce d’identité, ce qui revient à 1000FCFA par personne)

-       Douane Bénin 2 000 FCFA

Soit un total de 16 500 F CFA pour deux personnes munies de passeports empochés par les agents sans justification, sans reçus, sans enregistrement quelconque de leur part.

 

 

Quelques questions et réflexions...

 

Cette expérience m’a révélé combien les concepts d’ « Union économique et monétaire » ou de « liberté de circulation des hommes et des biens », pourtant proclamés par tant de protocoles liant nos pays, tardent à simplifier la vie des peuples.

Cela a inspiré au citoyen que je suis, les réflexions ébauchées ci-dessous.

 

Non justification des sommes demandées par les agents

Sur la base des informations dont je dispose, je ne peux affirmer l’illégalité des sommes demandées par les agents pour non détention d’un carnet de vaccination, d’une pièce d’identité à jour ou pour avoir un tampon d’entrée ou de sortie sur son passeport. Mais je doute fort de leur légalité. En effet, aucune justification n’est donnée par les agents. Même quand on demande pourquoi, ils disent « c’est comme ça et point. » Il n’y a aucun affichage des actes légaux justifiant la perception de ces sommes. Pire encore, il n’y a aucun enregistrement des sommes perçues. Les passagers défilent devant les agents et donnent l’argent. Les agents gardent l’argent dans leur main, le mette dans leurs poches ou dans le tiroir lorsqu’ils sont assis derrière un bureau.

D’autre part, le passager n’a droit à aucun justificatif de paiement même à sa demande. Les agents ne délivrent aucun reçu.

Les pays de la communauté et la commission de l’UEMOA doivent clairement communiquer sur ce qui est légalement demandé pour aider les populations à résister à toute demande illégale et indue. En effet les agents se basent aussi sur l’ignorance des règles en vigueur pour intimider les populations.

 

Non efficacité des contrôles effectués

Le comportement des agents aux points de contrôle indique clairement que ce qui les intéresse ce n’est pas la sécurité ni la protection contre les maladies mais bien l’argent à empocher.

Quel crédit accorder à un contrôle de carnet de vaccination si la personne qui n’en a pas paye simplement 500 FCFA pour passer ? L’objectif d’un tel contrôle ne peut être la protection contre des maladies importées.

Quel crédit à un contrôle d’identité si la personne qui n’a pas de pièce d’identité paye 1000 FCFA pour passer ? Il est clair qu’un tel contrôle ne peut prétendre garantir une quelconque sécurité ni même avoir un effet dissuasif pour quelqu’un qui a réellement de mauvaises intentions. Et, l’objectif uniquement pécuniaire de ces contrôles est encore flagrant. Lors de notre voyage retour, un bus nigérian était devant nous. Arrivé aux postes de contrôle policier, le chauffeur venait trouver le policier avec une somme d’argent. Il restait débout à côté du policier et faisait passer tous ses passagers sans le moindre contrôle puis continuait sa route.

Quel crédit accorder à un contrôle douanier qui ne s’appuie sur aucune grille tarifaire, où le marchandage est la règle et où l’argent va dans la poche de l’agent sans aucune forme de justification ni d’enregistrement?

La seule conséquence visible de ces contrôles c’est d’exaspérer les populations et de les donner en pâture à des agents véreux.

 

Un terreau pour la corruption

Qui n’a pas entendu les rumeurs populaires sur la corruption des douaniers et des policiers ? Lorsque l’on voit comment se déroulent les contrôles et la perception de l’argent par les agents, cela laisse peu de doute. Aucune justification légale et aucun affichage des actes légaux instaurant les sommes demandées n’est disponible. Aucun enregistrement des sommes perçues n’est effectué par les agents. Aucun reçu même à la demande du citoyen n’est octroyé.

Quel contrôleur pourrait vérifier les sommes perçues ? Bien malin celui qui saurait déduire le nombre de passagers sans pièce d’identité ou sans carnet de vaccination qui passent la frontière chaque jour. Malin aussi celui qui saurait les sommes glissées dans les poches des agents après chaque marchandage.

Quelle part de cette manne est réellement reversée à l’Etat ? Si toutes ces sommes perçues sont illégales, il va de soi que l’Etat n’en voit pas la couleur. Par contre si certaines sont justifiées, il est clair aussi qu’une bonne partie est détournée par les agents qui visiblement ont des réseaux bien structurés.

 

Pour un «Schengen» de l’UEMOA

L’un des objectifs principaux de l’UEMOA pointé dans l’acte de création est la libre circulation des personnes. Si des directives spécifiques ont été adoptées pour faciliter la circulation et l’établissement de certaines professions règlementées au sein de l’espace UEMOA, il semble que la circulation des simples citoyens ait été négligée. Tout ce qu’ils ont pu avoir c’est la mise en place des postes de contrôle juxtaposés aux frontières intérieures. Comme nous l’avons dit plus haut, ces contrôles aux frontières intérieures nous semblent sans grande utilité d’un point de vue de l’ordre public, de la sécurité et même sanitaire. Ils ne participent qu’à exaspérer les populations et à les donner en pâture à des agents véreux. Et, cela ne participe pas à l’esprit de communauté et de solidarité au sein de l’union. Les injustices dont sont l’objet les populations d’un pays dans un autre pays exacerbent l’esprit de représailles.

Je pense qu’il est grand temps pour l’UEMOA de jeter les bases d’un espace commun où les contrôles aux frontières intérieures seraient supprimés à l’image de l’espace Schengen de l’Union Européenne. Il va de soi que la suppression des contrôles aux frontières intérieures va de pair avec l’amélioration de la coopération judiciaire et policière. Mais, quel intérêt ont réellement les contrôles policiers entre le Niger et le Bénin ? Entre le Bénin et le Togo ? Entre le Niger et le Burkina-Faso ? Comme pour l’espace Schengen, il faudra certes aller par étape et que certains pays prennent le devant pour inciter les autres. Le Niger, le Bénin, le Burkina-Faso et le Togo me paraissent bien désignés pour lancer le mouvement.

Non seulement, la suppression effective des contrôles aux frontières intérieures coupera court à la corruption rampante qui gangrène ces contrôles de surcroît inefficaces, mais elle constitue une étape décisive dans l’intégration de l’espace UEMOA en facilitant la circulation des personnes pas uniquement dans un but commercial, mais aussi pour plus de brassage et de rapprochement entre les populations.

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