Le Niger et sa démocratie

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Par Kalilou Kalassi A. dit Paco

Note de CDC : Les propos de ce texte qui est une contribution extérieure n’engagent que leur auteur et ne sont pas forcément les points de vue de CDC.

Comme dans beaucoup de pays d’Afrique, l’avènement de la démocratie au Niger a suscité un grand engouement. En effet, le Niger, après la fameuse conférence de La Baule de juin 1990, a connu le vent des démocraties importées qui ont soufflé sur le continent noir nonobstant l’insuffisance de bonnes bases socio-culturelles, ou du moins les tares faisant obstacle, pour « le gouvernent du peuple, par le peuple et pour le peuple » pour reprendre les mots du président américain Abraham Lincoln.

Après  presque deux décennies de vie démocratique, il nous parait judicieux de faire une exégèse de la situation socio-démocratique du Niger. Il s’agit notamment de voir comment ce terme noble tant sur la graphie que dans le fond connaît tant de difficultés à se faire approprier par le peuple, qui pourtant est censé être son porte flambeau. Nous tenterons ensuite d’énumérer les obstacles qui ont empêché notre jeune démocratie d’avancer.

Le concept de démocratie théoriquement, semble à tout égard trivial à appréhender mais sa mise en œuvre est rarement un long fleuve tranquille tant les difficultés à cette application sont nombreuses.

En fait la conception de la démocratie est plurielle, si bien que des hommes d’Etat, des penseurs et des citoyens ordinaires l’ont fait chacun en fonction de son aptitude et de sa compréhension. Néanmoins, toutes les définitions données concourent à un seul et unique dénominateur commun : le PEUPLE. Ainsi, sans hésiter on peut affirmer que seul le peuple est apte pour donner un sens à la démocratie. Donc sans lui, la démocratie serait dénuée de sa substance et de raison d’être.

Pour revenir au cas du Niger, il n’est un secret pour personne, encore moins pour la classe « intellectuelle », que c’est la décision de l’ancienne puissance coloniale (la France de François Mitterand), au sortir de la rencontre de La Baule, de pousser ses ex-colonies vers des systèmes démocratiques qui a stimulé les  « forces vives » de la nation à convoquer hâtivement une Conférence Nationale Souveraine. Cette dernière fut  à la fois coûteuse et longue. Après trois mois (de fin juillet à début novembre1991) de débat interminable, parfois stérile voire haineux, on peut aujourd’hui reprocher à cette Conférence de n’avoir pas permis de véritablement « solder » le passé (par exemple la question de la rébellion Touarègue a été bâclée) et a conduit, à notre sens, à un accord à minima.

L’accord signé par les conférenciers consistait à donner le pouvoir au peuple après plus d’une décennie de régime militaire. Un gouvernement civil est alors formé avec comme premier ministre M. Cheffou Amadou ; comme président du Haut Conseil de la République, le nouvel organe législatif, Pr. André Salifou et le Général Ali Seybou  comme président de la république à titre honorifique. Cette nouvelle configuration de l’Etat a permis au pays de se doter d’une nouvelle constitution en 1992 qui a vu l’organisation des premières élections présidentielles démocratiques en 1993.

La démocratie pour beaucoup de personnes au Niger se limite seulement à l’organisation des élections caractérisées par le vote des citoyens. Or les élections sont sans aucun doute un élément constitutif de la démocratie mais quand ce dernier se fait par l’achat des consciences, le truquage et la tricherie, il ne s’agit alors plus de démocratie mais plutôt un mélange de dictature et de  ploutocratie.

 Pour parler d’une véritable démocratie il faut entre autres : le respect des règles, l’égalité des citoyens devant la loi, la liberté d’expression et la liberté de presse.

L’information des citoyens et la participation de ces derniers constituent un impératif pour la vie démocratique. Sans la satisfaction de ces critères fondamentaux, nous croyons qu’aucune démocratie digne de ce nom n’est possible. Mais au Niger les hommes politiques avec leur kyrielle de partis politiques croient faire la démocratie. Mais de quel genre de démocratie s’agit-il ?  A la nigérienne.

L’arrivée des civils au pouvoir, à partir de 1993, notamment l’AFC (Alliance des Forces du Changement) conduite par la CDS de Mahamane Ousmane n’a pas eu les effets escomptés par les populations qui scrutaient l’horizon politique dans l’intention d’y voir enfin des lueurs d’espoir se dessiner sur le ciel nigérien assombri par l’injustice, le détournement des deniers publics et surtout l’ignorance. Au passage, nous pensons que celle-ci est entretenue par les politiques car elle leur permet de s’enrichir sur le dos des populations asphyxiées par une pauvreté chronique.

Sur le plan social les choses vont de mal en pis avec un fort taux de chômage, un clientélisme qui atteint des sommets et surtout une chute vertigineuse du système éducatif qui, à notre sens, ne doit jamais être délaissé quelque soient les difficultés.

Le non respect des règles qui fondent la démocratie, la chienlit installée au sein de l’exécutif et surtout les sorties massives des travailleurs dans la rue ont constitué le cocktail idéal pour réintroduire les hommes en uniforme au devant de la scène politique. Janvier  1996, l’armée, avec à sa tête le Colonel Mainassara Baré, prend de nouveau les rênes du pouvoir.   

Le président Baré va troquer sa tenue militaire pour les grands boubous afin de se présenter aux élections présidentielles, qu’il gagnera grâce à un stratagème et une technique dont lui seul et ses partisans connaissent le secret.

Crise politique et sanctions internationales ont eu raison du régime de Baré en avril 1999 après un putsch organisé par une junte militaire constituée en Conseil de Réconciliation Nationale (CRN) et dirigée par le Commandant Daouda Malam Wanké. Suivirent alors neuf mois de transition, au cours desquels les fonctionnaires ne reçurent aucun salaire et la presse fut muselée. On peut néanmoins mettre au crédit du CRN l’organisation d’élections transparentes à la fin de 1999.

Ainsi les élections de 1999 ont  porté M. Mamadou Tandja à la tête du pays qui fut reconduit en 2004.

Malgré la succession des régimes, certains démocratiques et d’autres exceptionnels, les populations continuent toujours à subir les dérives de leurs dirigeants qui souvent n’aspirent qu’à satisfaire leur caprice, celui de leur famille et enfin celui de leur clan. On remarque avec tristesse et consternation que la démocratie ou du moins ses acteurs c'est-à-dire les hommes politiques n’ont fait qu’apporter des déboires dans l’euphorie et l’amélioration des conditions de vie que les populations ont espéré trouver en liant leur destin à celui d’un système politique nouveau.

Le pouvoir que le peuple confie à ses représentants est récupéré au Niger à des fins personnelles sous le nez et à la barbe des populations à qui on ne rend plus compte. Et souvent c’est à la veille des élections, qu’elles soient présidentielles, législatives ou municipales que les politiques renouent le contact avec les pauvres qu’ils ont oublié depuis belle lurette.

La particularité de notre démocratie ce que la séparation des pouvoirs, celle qu’a défendue Montesquieu, n’est que théorique. Les gens ou du moins ceux qui sont censés animer la vie démocratique font allégeance « au roi ». Mais, l’histoire nous a enseigné que le véritable changement ne peut venir que de la prise de conscience de tous et de chacun pour ce qui est de l’amélioration des conditions de vie des populations, qui à notre sens, est le crédo de la démocratie.

Le temps passe et les problèmes que les populations connaissent depuis longtemps perdurent avec des conséquences aux allures apocalyptiques. Enumérer toutes les conséquences de l’inconséquence des nos néophytes démocrates, c’est remuer le couteau dans la plaie.

Le bradage de nos ressources, le culte de la personnalité, la corruption, et tout ce qui est contraire à la conscience morale sont devenus les valeurs de la toute « puissante république bananière » du Niger.

Depuis mai 2009, le Niger vit une crise ou, disons les choses par leur nom, une farce que les personnes au pouvoir ont érigé de toutes pièces dans le seul dessein, visiblement, de continuer à exploiter le pays à leur fin et satisfaire leurs clans. Cette farce a provoqué le courroux des donateurs qui refusent d’aider tout gouvernement qui se hasarde à tripatouiller les textes fondamentaux de son pays. Dans cette pagaille de la république certains opportunistes encenseurs font leur entrée sur la scène en clamant haut et fort avec un discours de rue que le chemin pris par le Niger aujourd’hui est le seul qui vaille pour le bonheur du peuple. Ce qui est choquant voire même insultant ce que ces personnes au lieu d’être sanctionnées, elles distribuent des diatribes à l’endroit des autres nigériens avec le consentement tacite du monarque ou empereur Tandja premier. Le pays se dote d’une constitution taillée sur mesure pour le seul et unique messie du pays.

Un bonus de trois ans pour un homme qui a fait ces preuves dans l’incompétence notoire, l’indifférence de la souffrance des populations, le sacrifice de la jeunesse en général et des scolaires en particulier, c’est  se moquer des dignes fils du pays.

Avec seulement un demi-siècle d’indépendance, le Niger a connu six constitutions et trois putschs.  La démocratie semble pour la plupart des nigériens un avantage pour les nantis  et un grand échec pour le peuple. D’ailleurs c’est ce que dit le comédien ivoirien Dahico « depuis qu’on a dit démocratie, c’est là où on n’avance plus ». Pourtant la démocratie devrait apporter une bouffée d’oxygène aux populations qui n’ont que trop souffert.

Pour donner un sens noble à la démocratie et mettre fin à la paupérisation des populations, il appartient alors aux intellectuels du pays de prendre le problème à bras le corps afin de donner au peuple le rôle qu’il doit occuper. Ainsi, en l’état actuel, les instruits sont les seuls garants des valeurs démocratiques car la notion de démocratie exige une certaine connaissance.

L’entrée en scène de l’intelligentsia, qui se complait dans l’observation et la critique feu de paille, est la seule chance pour le pays de refaire une vraie démocratie en mettant en place de véritables bases pour un développement.

Toutefois, si les intellectuels continuent à se complaire dans cette situation de « wait and  see », on assistera à la mort à petit feu de toute une génération et l’Histoire donnera raison à ceux qui disent que « le poisson pourrit par la tête ».

 

Kalilou Kalassi A. dit Paco

Etudiant troisième année à la faculté des lettres et sciences humaines

Département de langue française

Université Ferhat Abbas (Sétif) Algérie

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