Nous sommes pauvres et... tous responsables

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Depuis quelques années, en fonction du contexte politique national, la publication du rapport sur le Développement du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) constitue un vrai moment d’effervescence politico-intellectuelle au Niger. Pour être plus précis, c’est l’IDH1 , le fameux « Indice de Développement Humain » d’inspiration du prix Nobel d’économie Sen, qui est la source de cette excitation ; le reste du rapport n’intéressant presque personne, du moins au Niger (le rapport fait en moyenne 250 pages).

Il ne s’agit pas pour nous ici de défendre ou de revenir sur les « insuffisances » de cet indicateur et le lecteur intéressé trouvera un nombre important d’articles critiques de l’IDH sur internet publiés par des spécialistes2. 

Cependant, sans nier le rôle de l’IDH dont notamment son importance dans les « comparaisons internationales» et son approche relative et multidimensionnelle de la pauvreté, on ne peut s’empêcher de poser une question : quelle différence y a-t-il pour le Niger d’être à la dernière place, à l’avant dernière ou même au dixième rang avant le dernier ? Autrement dit, serions-nous, en tant que nigériens, satisfaits d’avoir le niveau de « développement humain » actuel du Mali, de la Côte d’Ivoire ou même celui du Cameroun? Notre souci serait-il juste ne pas être  « le dernier » en termes d’IDH ? Notons ici que l’IDH du Niger, car il convient de le remarquer, connaît depuis 1998 une tendance à la hausse (Tableau 1). Et sachant que le classement des pays suivant l’IDH se fait au millième près, le Niger pourrait ne plus être « dernier » pour des raisons conjoncturelles (une bonne pluviométrie par exemple). Alors, cela voudrait-il dire que le pays a atteint son objectif ? Le cas de 2007-2008 où le Niger a été classé 174/177 montre bien que plutôt que de nous concentrer sur le classement (choix émotionnel et de communication), nous devrions plutôt nous attarder sur  la valeur globale de l’IDH et de ses composantes. Une telle approche nous permettrait de mieux cerner ce qui ne va pas ; ce qui mérite le plus d’effort ; ce qui produit le plus de résultat…

 Tableau évolution de l'IDH au Niger de 1998 à 2009

 

 

 

Inutile de noter que compte tenu de son « classement », l’IDH est inférieur à celui des Pays les Moins Avancés (PMA). Par exemple, en 1998, les PMA ont ensemble un IDH de 0,334 et de 0,518 en 2005 (PNUD 1998 et 2005).


 


 

Quelques pistes pour comprendre notre état de pauvreté

 


 

Mais alors, qu’est ce qui justifie notre pauvreté ? Notre « retard » en termes de développement? Ici non plus, nous n’allons pas nous attarder sur ce qui se dit ici et là comme la colonisation, le commerce international (injuste), la sécheresse,… Pour une raison toute simple : pour chacun de ces facteurs exogènes, il existe des contre exemples si éloquents !  ela dit, nous pensons, non sans gêne, que pour prendre la mesure de la pauvreté au Niger, on n’a nullement besoin de référence psycho-sociale sur « l’idée de développement » ni de connaissance en économie professionnelle. Il suffit de vivre au Niger voire « d’atterrir à l’aéroport de Niamey » pour se rendre compte qu’il y a bien des choses qui ne marchent pas bien au Niger.

Alors, nous défendons l’idée d’une cause interne; seule piste insuffisamment exploitée, du moins qui reste tabou. Pour être plus clair, plus que l’idée « nous sommes pauvres parce que nous sommes pauvres » 3, nous affirmons que nous sommes pauvres parce que nous ne voulons pas changer les choses. Mais, ne nous emballons pas dans un jugement simpliste et facile. L’idée communément admise veut que les nigériens ne travaillent pas pour que le futur soit meilleur même si certains d’entre eux savent et sont conscients que cet effort est nécessaire. Un petit break est aussi nécessaire ici : n’accusons pas si vite et si facilement nos compatriotes ruraux et/ou non scolarisés (qu’on méprise avec le terme « d’analphabètes »). L’entrave et le mal sont ailleurs.

La dimension « altruiste », celle-là qui nous pousse à agir de manière à ce que non seulement nos actions nous profitent à nous mais aussi profitent activement aux autres, nous fait défaut. Nous vivons dans un « individualisme destructif » dans la mesure où nos actions détruisent plus qu’elles ne produisent. Au Niger, tout est mauvais tant que ce n’est pas « moi » qui le fais ! Tant pis, si je suis nullement compétent et incapable de réaliser le centième de l’opération ! Quand vous discutez avec des acteurs qui arrivent tant bien que mal à réaliser des choses, vous serez surpris de constater que ce qu’ils affrontent ce n’est pas la difficulté inhérente à toute action de résultat mais les entraves « jalouses », les incitations à « laisser tomber » et les découragements de la part des autres qu’ils rencontrent.

L’impact de cette idée répandue qui de tout élan dit : « ça ne sert à rien » est désastreux. Bien entendu, les personnes motivées n’en tiendraient pas compte mais combien sont-ils à savoir qu’il faut « faire quelque chose » ? Comment obtenir des résultats si l’administration compétente est frustrée car négligée, oubliée au profit des « circuits » de prise de décision totalement opaques ? Comment  motiver les jeunes ou encore convaincre particulièrement les investisseurs étrangers quand les officiels publics ne manifestent aucun enthousiasme dans ce qu’ils font ?

Par ailleurs, depuis quelques années, la politisation de l’administration, phénomène qui est décrié par le politique même, consacré à travers les nominations purement politiques notamment et non basées sur les compétences, vient aggraver la situation et réduire à néant la performance médiocre de l’administration publique.

Au final, pour revenir à la pauvreté, la plupart des indicateurs socioéconomiques sont au rouge car les actions entreprises ne sont souvent pas en adéquation avec les réalités ou parfois sont inefficaces.

 

 


 

Quelques comparaisons Niger - Burkina faso

 


 

 

Pour illustrer notre thèse, faisons quelques observations factuelles. Analysons par exemple l’évolution du revenu national par habitant (PIB/habitant) tout en comparant avec la situation dans un pays dont la situation socioéconomique est proche de celle du Niger à plus d’un titre.

Comme illustré sur la Figure 1, avant 1984, le Niger présentait un PIB/habitant en $ courant supérieur à celui du Burkina. Mais depuis, alors que le revenu national par tête du Burkina continuait sa progression fulgurante, au Niger, la production nationale par habitant ne s’accroissait que très faiblement voire stagnait certaines années (1992-1998).   

Encore plus grave, même si le PIB/tête des nigériens est en hausse tendancielle depuis 1980, le pouvoir d’achat ne fait que décroitre.

Ainsi, en comparant avec un pays voisin à savoir le Burkina-Faso, depuis 1984, le Niger connaît une décadence exceptionnelle en termes de revenu (Figure 1). 

 

Dans l’effort pour améliorer l’état de la santé de la population, si on peut féliciter l’impact obtenu au Niger dans le gain en espérance de vie (Figure 2), il faut cependant remarquer que ces dernières décennies le Niger ne fait pas autant que le Burkina pour assurer une meilleure « densité » de médecins dans la population. Il ne faut pas ici accuser le Programme d’Ajustement Structurel (ou les Réformes Macroéconomiques Profondes) car le Niger y est soumis au même titre que le Burkina-Faso. L’explication se situerait au niveau du dysfonctionnement du système de formation des médecins (grèves et années blanches à l’université) et surtout de la « fuite interne des cerveaux» (les médecins préfèrent servir dans les ONG où les salaires sont de loin plus intéressants que dans la fonction publique).

 


 Notre niveau de pauvreté s’explique aussi par l’absence de volonté de promouvoir le système éducatif. Pendant vingt ans (entre 1984 et 2004), le Niger affichait un taux de scolarisation primaire plus faible que celui du Burkina-Faso (Figure 4).

En 2006, alors que les dépenses publiques vers l’éducation du Niger représentaient 3,38% de la richesse nationale, ce taux était de 4,51% au Burkina-Faso (Banque mondiale, 2008). Ainsi, comme la richesse nationale du Burkina Faso est supérieure à celle du Niger en 2006, le Burkina fait plus d’effort que le Niger dans les dépenses d’éducation aussi bien de manière relative (part du PIB) qu’absolue (somme totale consacrée).

 

 En se référant à la hausse relative du niveau de scolarisation primaire illustrée sur la figure ci-dessus, on ne peut pas s’empêcher d’espérer que dans les prochaines décennies cet essor de la scolarisation puisse produire des externalités positives très sensibles.

Enfin, sur le plan agricole, le Niger n’exploite que 30% de ses terres arables (cultivables) alors que le Burkina-Faso en est à 40% (Word Developement Indicator, 2007). En d’autres termes, plus du 2/3 des superficies cultivables au Niger sont complètement inexploitées.

Ces observations simples et dont les décideurs publics disposent (du moins, s’ils veulent les avoir…), devraient permettre normalement de remettre en question entièrement la manière dont les interventions de développement se déroulent au Niger. Il ne s’agit pas seulement de revoir leur insuffisance en termes de contenu et de dimension mais aussi de leur résultat. L’absence de ces mesures d’interrogation et de remise en cause pragmatique laisse croire qu’en interne certains profitent largement de l’état actuel et bloquent toute tentative d’où qu’elles viennent.

Mais, il reste difficile de croire à cette idée ! En effet, nous pensons que le désir naturel de l’homme d’être « reconnu » par les autres, son orgueil, son amour propre le poussent à accomplir des choses exceptionnelles. Quelle dette et estime les nigériens devront à celui et ceux qui participeront à sa construction ?

Convaincu de cela, il ne nous reste plus qu’à croire que nous et nos dirigeants successifs avons tout simplement un déficit dans l’idée que nous nous faisons de  ce que veut dire un pays, le gérer, le servir et être citoyen!

Autrement dit, la pauvreté du Niger n’est pas seulement due à ses dirigeants. Une telle critique, qui consiste à accuser toujours les « autres », nous semble très facile de la part de ceux qui ne sont au pouvoir. La situation du Niger est un échec de nous tous, nous nigériens. Nous sommes tous responsables à des degrés différents de la situation actuelle de notre pays. Les premiers responsables de cet échec sont évidemment tous ceux à qui le Niger a profité de manière structurelle et institutionnelle et qui comprennent quelque chose. Comprenez par là les « éduqués-scolarisés ». Dans un pays, chacun à son rôle. Et la raison pour laquelle l’Etat forme ses citoyens c’est pour qu’ils deviennent utiles pour le pays. Or on peut bien se permettre de notre utilité, nous les « lettrés », si nous sommes incapables de faire évoluer positivement les choses publiques (car nos affaires privées, c’est une autre question).

Il faut que nous manifestons sincèrement notre goût de changement, nous mettrons en pratique les mesures qui le permettront. Nous avons pensé que la gestion du Niger est une affaire exclusive des « élus », des autres. Si on peut décrier l’incompétence des dirigeants, il faut aussi décrier notre incapacité de porter d’alternative crédible. Comment est ce que les « mauvais » peuvent-ils battre les « bons » ?

Il faut que les institutions aussi bien publiques que privées (partis politiques, syndicats, société civile,…) soient dépersonnalisées et soient orientées vers l’efficacité dans une concurrence productive.

Si chacun fait de son « mieux » au lieu de laisser les choses se répéter tous les jours de la même manière, nous parviendront à un meilleur lendemain. 

  • 1. L’IDH saisit le niveau de développement d’un pays à travers 3 grandes « possibilités » que le pays offre à sa population : possibilités (1) de vivre longtemps ; (2) de s’instruire ; et (3) de vivre décemment.
  • 2. Du reste, les auteurs du rapport de l’IDH critiquent aussi dans chaque édition le rapport pour montrer ses forces et aussi ses insuffisances. Le rapport 2000 est dans ce sens assez éloquent.
  • 3. Le lecteur intéressé peut lire Nurkse (1953) et Galbraith (1980) pour mieux comprendre les « Cercles vicieux de la pauvreté » et la « Théorie de la pauvreté de masse ».

Commentaires

objection

Certes, nous sommes comptés parmi les plus pauvres du monde.Cependant, cette situation trouve ses origines dans l'histoire de l'Afrique en général. Nous continuons à être comptés parmi les derniers dans la course économique,mais non intelletuel, suite à la grande blessure causée par nos éternels premiers, en parlant de ce fameux développement,qui demeure un mythe pour nous. 

Simplement épatée par la

Simplement épatée par la qualité, la pertinence des analyses de ce site, le niveau elevé des commentaires.

Je souhaiterais vous lire encore longtemps. Bravo à Cri de cigogne!!

i agree

Salam à tous,

Juste pour dire que je ne peux qu'agréer à cette reflexion qui est d'une part un constat assez pénible à supporter.

Contrairement à JID, moi je suis tout à fait d'accord avec notre auteur sur le fait que la responsabilité de cet échec est largement partagée.

 En effet, si JID pense que c'est uniquement la faute de nos décideurs pôlitiques il faut reconnaître que nous qui representons la jeunesse d'aujourd'hui et surement les décideurs de demain, avons failli à notre mission de vigilance vis à vis, des pôlitiques menées depuis des décénies. nous avons baissé les bras et rien de tout cela n'a payé.

Je crois, nous croyons qu'il est grand temps que ça change beacause " Change we need" and we gonna make it incha Allah  

     Je suis tout à fait

     Je suis tout à fait d'accord dans l'essentiel des arguments apportés notamment les statistiques mais farouchement opposé à la conclusion de l'article selon laquelle les mauvaises performances de notre pays sont les résultats d'un échec partagé. A mon sens, la dégradation des conditions de vie (santé, éducation, environnement,....) sont le fruit d'une manipulation orchestrée par une "élite" de soit disant intellectuels. Il n'y pas un pays sur cette terre qui s'est développé sans émergence d'un leader qui soit capable de porter les ambitions de ses compatriotes. La responsabilité de cette dégringolade est d'abord celle de nos décideurs, devenus des rentiers, qui pour l'essentiel n'ont jamais été animés d'intention de promouvoir des politiques et stratégies de développement adéquates... 

Oui l'IDH est imparfait et on en a pas besoin ppour se rendre compte de la misère du peuple nigérien. Et si cet indicateur devrait à être corrigé, je crians que nous soyons proche de zero tant bien que la scolarisation, composante principale, reste à désirer...

bref, que chacun sa responsabilité c'est bien mais nos dirigeants doivent faire le 1er pas....

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