Le nucléaire civil est-il vraiment une énergie propre ?

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Une énergie propre pourrait se définir comme de l'énergie qui, durant tout le processus de production, de distribution et d’utilisation, n'émet pas ou émet très peu de gaz à effet de serre (GES) ou d'autres émissions atmosphériques. En se basant uniquement sur les émissions de GES, le nucléaire civil peut effectivement être considéré comme propre. Cependant, le Niger n’est pas vraiment concerné par les préoccupations en termes de dépassement d’émissions de GES. D’après le rapport 2010, portant sur les avancées pour l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement, « le bilan national net des émissions totales des GES démontre que le Niger n’est pas une source mais plutôt un puits net de séquestration de carbone » (2). Ce n’est donc pas pertinent de fonder l’appréciation du qualificatif «propre» uniquement sur les émissions de GES.

Afin de pouvoir l’apprécier adéquatement, il faut se trouver d’autres unités de mesure. En ce qui concerne le nucléaire dans un pays comme le Niger, c’est essentiellement la gestion des déchets radioactifs qui devrait retenir l’attention. Ces déchets peuvent être de type haute ou faible activité. Les moins dangereux sont ceux à faible activité. Selon la société française d’énergie nucléaire, ces déchets de faible activité « constituent 90% de la totalité des déchets nucléaires…. Leur radioactivité globale diminue de moitié tous les 30 ans. Elle aura disparu au bout de 300 ans » (3). En prenant en compte l’ensemble des déchets radioactifs, un minimum de 300 ans sera donc nécessaire pour les rendre complètement inoffensifs. Ce qui implique de garantir une étanchéité certaine des lieux de stockage pendant cette période. Actuellement, il est difficile d’imaginer que cette situation soit transposable au Niger.

Il est tout aussi difficile de partager l’optimisme de Monsieur Takoubakoye dans son analyse, publiée  en 2010 et intitulée Option électronucléaire, quelle démarche pour le Niger?. Il y affirmait que « le centre national de radioprotection dispose de l’expérience requise dans la gestion des déchets de faible activité notamment le transport et les opérations de rejets, venant des hôpitaux et de l’industrie minière par exemple et qu’il pourra assurer aisément et en toute sécurité la gestion des rejets et des déchets du cycle du combustible nucléaire à haute activité » (4).

La solution ne consiste pas non plus à voter des lois supplémentaires. La règlementation dans ce domaine est déjà assez bien étoffée. Il y aurait tout de même à adopter des règlements d’application pour que le dispositif soit complet. En effet, il existe déjà une loi sur la protection du public et de l’environnement contre les dangers des rayonnements ionisants et une loi sur la gestion des déchets radioactifs et les rejets dans l’environnement. Ce qui devrait être largement suffisant pour peu qu’on veuille bien les appliquer.

Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Prenons l’exemple de la gestion des déchets biomédicaux, c’est-à-dire les déchets générés suite aux soins produits par les centres de santé. Le dernier plan de gestion des déchets issus des soins de santé (PGDISS) 2011-2015 relevait que, malgré l’adoption en 1998 de la loi-cadre relative à la gestion de l’environnement, aucun des décrets d'application prévus n’a encore vu le jour. (5)

Mais le pire, c’est qu’il est difficile d’imaginer que ce manque de règlements soit seul responsable du fait qu’un incinérateur hospitalier moderne n’ait jamais fonctionné, sous prétexte qu’il n’y aurait pas de carburant. C’est, en effet, ce que rapporte le PGDISS concernant l’hôpital Lamordé. Aussi, quand on n’est même pas en mesure de bien gérer des déchets biomédicaux, il y a lieu de se questionner sur la pertinence de créer des conditions de génération de déchets radioactifs.

Par ailleurs, il y’a aussi lieu de se questionner sur le timing choisi pour la première annonce du président de la république sur ce sujet. Elle a été curieusement faite à peine deux semaines après l’incendie du ministère de la justice dont l’enquête a été rapidement confiée à la France. Les premières impressions, après ce malheureux événement, semblaient être, au mieux une méfiance inquiétante des plus hautes autorités vis-à-vis de leurs propres forces policières, au pire que même pour un simple (en termes d’émissions atmosphériques) incendie, le pays ne disposait en fait d’aucune expertise en ressources humaines dignes de ce nom pour y faire face. Dans les deux cas de figure, il est légitime de s’inquiéter dans une perspective de centrale nucléaire.

Malgré tout, les plus optimistes pourraient encore arguer que d’ici la construction d’une éventuelle centrale, les choses vont certainement beaucoup s’améliorer. Soit ! Mais alors, pourquoi ne pas attendre, sachant que les conditions présentes préconiseraient plutôt l’application du bon vieux principe de précaution.

D’autant plus que le récent rapport de la cour des comptes, en France, rapportait qu’une estimation du coût de gestion à long terme de leurs déchets radioactifs n’est pas encore stabilisée. En d’autres termes, leurs estimations connaissent des fluctuations dont ils ne mesurent pas encore complètement l’ampleur. Or, si ça se passe en France avec toute leur expertise, soyez assurés que ça se passera aussi au Niger. Est-il d’ailleurs nécessaire de rappeler que s’il y aura centrale nucléaire au Niger, il y a toutes les chances pour qu’elle soit construite par des français. Leur savoir-faire dans ce domaine est en effet incontestable. Aussi, il pourrait y avoir une autre option qui consisterait à leur sous-traiter l’exploitation de la dite centrale. Ce ne serait pas une mauvaise idée. Toutefois, cela irait à l’encontre de l’indépendance énergétique tant vantée par certains partisans du nucléaire civil. Mais, même dans un cas de sous-traitance, les réticences vis-à-vis de la gestion des déchets post-exploitation resteront d’actualité.

Finalement, du fait de la dangerosité des déchets qu’il produirait, le nucléaire civil peut difficilement être considéré comme de l’énergie propre pour le Niger. En effet, il suffit de regarder le sort réservé aux déchets biomédicaux pour s’en convaincre que ce n’est peut-être pas une bonne idée de vouloir s’aventurer vers le nucléaire. Cette affaire de déchets radioactifs est en effet trop sérieuse pour continuer à adopter les mêmes postures de facilité qui consistent à considérer que, sous prétexte que le pays est trop pauvre, n’importe quelles maigres améliorations d’une quelconque initiative suffiront toujours à masquer les effets pervers résultants pour peu que ces effets ne surviendront que dans un avenir relativement lointain. Ce ne serait pas conforme à la perspective d’un développement qui se veut durable. D’autant plus que c’est le gouvernement du Niger, à travers sa Stratégie de Développement Accéléré et de Réduction de la Pauvreté, qui a souverainement placé cette question énergétique dans une optique de développement durable.

Commentaires

c'est bien dit. Commençons à

c'est bien dit. Commençons à bien gérer les ordures menagères , puis les déchets biomédicaux, avant de se lancer dans l'aventure du nucléaire.

 

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