Suite au coup d’Etat du 18 février dernier mené par le « Conseil suprême pour la restauration de la démocratie » (CSRD) qui a déposé Mamadou Tandja, les Nigériens doivent s’atteler à reconstruire les bases d’une démocratie durable et d’un contexte favorable au développement. Plus que les interrogations sur la crise qui a précédé le coup d’Etat (deuxième partie de cet article), ou sur l’opportunité ou non du coup d’Etat (question non traitée dans cet article), les regards des Nigériens sont le plus profondément inquiets lorsqu’ils s’interrogent sur l’avenir (première partie de cet article).
Comment dépasser les inquiétudes, les tensions et les suspicions d’hier et d’aujourd’hui pour faire vivre demain un Niger serein ? Comment sortir de cette crise en reconstruisant et en consolidant de façon durable les acquis démocratiques ? Comment réfléchir sur un vrai départ garantissant les bases (institutionnelles, mais aussi populaires) et la vision nécessaire pour une expérience originale et efficace du développement ?
C’est sur ces questions que nous apportons dans ce qui suit des éléments de réflexion, et que nous invitons les Nigériens à réfléchir avec nous, dans la logique d’un débat national plus que jamais décisif, responsable et constructif.
Les perspectives de sortie de crise et de gestion de la présente transition politique devraient se construire autour de divers points importants, notamment le retour à la sérénité et à un climat apaisé, les réflexions pour la reconstruction des textes fondamentaux et des institutions du pays, la gestion des antécédents politiques et leur mise en perspective historique... Nous vous proposons un développement autour de ces points.
Les acteurs du coup d’Etat, les membres du CSRD, ont annoncé leur intention d’amorcer rapidement le retour à un ordre constitutionnel normal et d’organiser des élections dans les plus brefs délais. Une des préoccupations des Nigériens et des partenaires du Niger, à l’heure actuelle, c’est de connaître le calendrier de ce retour à la démocratie. La discipline de l’armée nigérienne et son expérience dans la gestion des conflits politiques (expérience à nuancer bien entendu), laissent espérer que le retour du Niger vers un régime démocratique se ferra sans doute.
C’est fort de cet espoir que la communauté internationale s’est contentée de faire une condamnation de principe suite à la prise de pouvoir par les militaires. En effet, Moins de 72h après le renversement du président Tandja, une mission conjointe de l’ONU, de l’Union Africaine et de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est rendue à Niamey pour discuter avec le nouveau pouvoir nigérien1. Elle s’est dite rassurée sur les promesses faites pour l’évolution de la situation au Niger. Un des responsables du CSRD, le Colonel Djibrilla Hima, a également été reçu à hui clos par la commission de l’UEMOA qui tenait son sommet à Bamako, 48h après le coup d’Etat. Il a réaffirmé l’intention de l’armée pour un retour à l’ordre constitutionnel et a rassuré que l’armée n’entend pas s’éterniser au pouvoir.
A ce jour, nous n’avons aucune raison objective de ne pas faire confiance à ces déclarations d’intention du CSRD. Certains analystes ont certes vite fait de rappeler que bien de putschistes ont fait des déclarations similaires avant de changer de position. Nous espérons, tout en demandant aux Nigériens de rester vigilants sur cette question, que le CSRD ne déviera pas sur ce point (le retour du pouvoir aux civils), et cela pour au moins deux raisons.
Premièrement, le Niger est aujourd’hui fort d’une société civile et d’acteurs politiques très engagés, et le peuple nigérien a dorénavant accumulé un minimum d’expérience du débat politique. Ainsi ce peuple nigérien assez averti, de même que les partenaires extérieurs du Niger (Union Africaine, CEDEAO, UE, USA…), ne cautionnerait plus jamais l’installation pérenne d’un régime d’exception; et nous osons espérer que les responsables du CSRD ont conscience de cette donne.
Deuxièmement, l’expérience historique du Niger en matière de changements de régimes et de périodes d’exception est assez riche d’enseignements. Envisager l’instauration durable d’un nouveau régime d’exception au Niger est une négation de l’Histoire et une des plus grosses erreurs politiques que l’on puisse imaginer à ce jour; nous estimons, également, que les responsables du CSRD ne commettront pas cette erreur.
D’ailleurs, le désaveu (au Niger comme en dehors) et l’effondrement du dernier régime d’exception en date (celui de Tandja avec sa « sixième république ») est certainement une leçon d’humilité pour les ambitieux du pouvoir, et une preuve que plus jamais les Nigériens ni leurs partenaires crédibles (CEDEAO…) n’accepteront la confiscation des acquis démocratiques.
Ainsi, il est tout à fait légitime de voir les choses avec optimisme et de réfléchir prioritairement, à l’heure actuelle, aux perspectives immédiates et à moyen terme d’un retour de la stabilité et d’un départ nouveau pour le développement du Niger.
Nous pensons que le scénario de sortie de crise le plus souhaitable passe par la mise en place d’une constitution issue d’un débat auquel participeraient, dans le cadre d’une Assemblée constituante, des représentations suffisantes de toutes les franges de la population nigérienne: la société civile, les universitaires, les organisations paysannes, la chefferie traditionnelle, les organisations religieuses, les étudiants, les différents corps professionnels et même la diaspora nigérienne....
Cette constitution devra être consensuelle et pallier les carences de la Constitution de la 5ième République au vu de tous les acquis historiques et de l’évolution de la vision sociopolitique au Niger. Elle doit être une refonte véritable des anciens textes et refléter l’originalité de la vision nigérienne.
Il est en outre important d’insister sur la nécessité pour la nouvelle Constitution de reposer sur les aspirations véritables du peuple nigérien dans son ensemble. Cela suppose de donner assez de temps pour l’élaboration du texte et pour le débat nécessaire à son amendement effectif sur la base des propositions des différents acteurs sociaux.
Faire rédiger un texte par un comité restreint d’ « initiés », a huis clos, dans la précipitation, avec des amendements de forme et le présenter rapidement aux urnes pour que les nigériens disent juste « oui » ou « non » (comme en 1999 et en 2009 !) serait décevant car cette période de transition sous le CSRD est une opportunité historique de refonder véritablement la République au Niger. Les Nigériens doivent rester vigilants sur ce point et éviter de semer à nouveau les graines d’un recommencement de l’Histoire.
Le résultat attendu de ce processus est donc une constitution originale avec des principes et des règles de fonctionnement que tous les Nigériens reconnaissent et s’approprient. Un texte ancré dans le cœur de tous les Nigériens qui acceptent de s’y soumettre et de le défendre corps et âme. Un texte qui puisse braver le temps et les majorités politiques le plus longtemps possible avec seulement quelques réaménagements consensuels.
Ensuite, il faudra organiser des élections parfaitement libres, démocratiques et transparentes, avec des observateurs indépendants. Une des dispositions nécessaires pour prévenir toute nouvelle tentative de confiscation du pouvoir par les militaires (à la façon Baré Mainassara et COSIMBA, 1996), c’est de statuer sur l’interdiction aux acteurs du coup d’Etat de se présenter comme candidats à ces élections. Prendre cette mesure à temps, c’est aussi tirer un enseignement de l’histoire du Niger (1996).
Le souci du renouveau et du redécollage pour le développement doit motiver les Nigériens, organisations politiques tout comme les acteurs associatifs, les universitaires, les paysans et tous les citoyens, à prendre une responsabilité et une part plus active dans la vie socio-politique.
C’est le moment plus que jamais d’instaurer un vrai cadre de réflexion pour l’avenir. Sans haine, sans rancune, sans avidité pour le pouvoir. Un élan patriotique, entaché d’abnégation et de responsabilité. Des leaders nouveaux doivent émerger, avec des idées fortes. La jeunesse s’est certes plus ou moins impliquée dans la politique depuis la conférence nationale (à souligner le rôle des étudiants dans l’émergence de la démocratie), mais cette jeunesse est restée depuis lors un peu en marge du leadership politique. Elle doit aujourd’hui s’engager davantage, avec responsabilité, éthique et autonomie. Une grande partie des universitaires et des intellectuels nigériens sont souvent restés observateurs en faisant de la politique « l’affaire des politiciens ». Pourtant, définie comme la gestion des affaires publiques, la politique doit être l’affaire de tous. Cependant, il faudra nuancer les implications. C’est d’une part, oui, l’affaire de ceux qui exercent le pouvoir. Mais par ailleurs, c’est aussi l’affaire de ceux qui, en tant que citoyens, feront des propositions constructives, et demanderont des comptes aux tenants du pouvoir. Un tel engagement national fera sans doute évoluer le débat social et la gouvernance. Son intérêt sera d’autant plus fort que les groupes émergents s’efforceraient de penser et de proposer des idées efficaces.
La nouvelle constitution devrait élargir les possibilités d’implication des citoyens dans le débat social et politique. En ouvrant davantage aux citoyens les cadres de propositions aux gouvernants, en imposant aux gouvernants plus d’obligation de transparence.
Aussi, une question à traiter avec délicatesse est le sort à réserver au président déchu. D’aucuns proposent de le juger, lui et ses compagnons d’infortune dans le Tazarcé. Nous estimons pour notre part que son cas doit être traité dans une logique non pas de rancune et de règlement de compte, mais plutôt dans l’objectif de la réconciliation des Nigériens et du rétablissement de la vérité historique. La gestion de ce dossier doit se faire en évitant toute tension sociale et tout abus. Par exemple, l’idée de faire juger Mamadou Tandja par un tribunal d’exception sous le contrôle de CRSD doit être bannie, car non respectueuse des droits fondamentaux. Mais aussi, imposer une amnistie pure et simple, sans enquête (comme ce fut le cas avec l’assassinat de Baré) serait une deuxième erreur historique au Niger. Car cette amnistie ne sera pas « avalée » par tous les Nigériens, notamment ceux qui ont fait un an d’opposition au Tazarcé. Avancer sans « solder » cette question pourrait ouvrir la porte à des résurgences de conflit juridico-politique autour de celle-ci. Par exemple, aujourd’hui encore, et 10 ans après les faits, l’amnistie aux auteurs du coup d’Etat dans lequel le général Baré a été assassiné resurgit encore dans les débats, et cette amnistie semble loin d’être acceptée par une partie des Nigériens.
Nous proposons donc pour cela une solution plus conciliante et somme toute plus cohérente avec les valeurs démocratiques. C’est la mise en place d’une commission d’enquête mixte et autonome comprenant le Niger et des institutions régionales et/ou internationales crédibles comme la CEDEAO (surtout), l’Union Africaine et les Nations-Unies, qui déjà se sont fortement impliquées dans la gestion de la crise nigérienne. Le fait que la commission soit constituée aussi de personnalités extérieures, sera la garantie de son impartialité et de son objectivité.
Le rôle d’une telle commission sera de :
Si cela est fait de cette façon, le cas Niger fera sans doute école dans toute l’Afrique, et on pourra en tirer des enseignements historiques. Aussi, le fait de faire la lumière et de jouer la carte de la transparence fera que les germes de la rancune (des nombreux Nigériens et Africains opposants au Tazarcé notamment) soit enterrés, sans pour autant tomber dans la condamnation systématique.
D’autres arguments, secondaires, plaident des circonstances atténuantes en la faveur du président déchu, notamment le fait que beaucoup de Nigériens, n’aurait-été ce grave incident de Tazarcé, reconnaissaient en lui un exemple de patriotisme et de droiture (durant les 10 ans de ses mandats légaux).
Si on lui fait crédit de cette considération, il est possible de voir dans son comportement personnel au cours de cette crise plus une erreur –grave certes- et une carence à comprendre et jouer le jeu démocratique qu’une intention délibérée de nuire au Niger.
Afin de sortir grandis et satisfaits de cette transition politique, les Nigériens doivent éviter de tomber dans certains pièges.
Par exemple, certains Nigériens réclament purement et simplement de disqualifier les anciens leaders politiques (c.-à-d. ceux qui ont exercé le pouvoir depuis ou avant la conférence nationale) de la course au pouvoir. Et ce, au motif que ces derniers n’ont pas su apporter des réponses efficaces au problème de développement du Niger.
Quand on sait les frustrations accumulées par les jeunes générations devant l’échec de leurs aînés, cette vision est compréhensible voire justifiable.
Nous ne remettons pas en cause le constat selon lequel l’ancienne classe politique a failli, c’est une réalité. Mais regardons dans le fonds les enjeux de cette idée :
Ainsi, à notre avis, la mesure et la raison voudraient plutôt que l’on envisage un renouvellement de la classe politique graduel, à partir de maintenant, mais qui sera effectif dans le moyen et long terme. Et cela, plutôt par une « disqualification » de fait, sur le terrain de la communication politique et de la campagne électorale. Démocratiquement, sans « coup de force » brusque et sans « tourmentes».
Le résultat de cette approche sera plus enraciné et plus efficace dans le long terme. Il viendra d’un effort de conscientisation des populations sur les échecs des anciennes politiques (corruption, médiocrité des programmes politiques…) et sur les vrais enjeux de développement. Il passera aussi par une éducation véritable des populations en matière électorale et de démocratie, qui prémunirait des anciennes pratiques (achat de vote, vote sur critère de clan, vote sans connaissance des programmes électoraux, élus non redevables de comptes aux électeurs).
Une telle approche, on le voit, sera plus pédagogique et plus durable. Elle implique une mobilisation de la jeunesse, dès maintenant, sur le terrain politique et, surtout, que cette jeunesse soit porteuse de véritables changements de vision, d’éthique et d’innovation politiques.
Moratoire sur les poursuites judiciaires.
Dans la même logique, les poursuites anti-corruption engagées par Tanja doivent être bien démêlées entre ce qui relève de la politique politicienne et ce qui est fondé. Dans tous les cas, il ne revient ni au CSRD ni aux institutions de la transition de traiter ces sujets. Il revient à l’institution judiciaire de faire la part des choses et d’engager les actions qui s’imposent contre tous ceux qui sont coupables de corruption ou de détournement de deniers publics. Nous proposons qu’un moratoire soit mis sur les poursuites durant la transition et que la justice reprenne son cours une fois des institutions démocratiques, crédibles et stables établies.
Durant la période de transition, toute autre source de dérapage doit être évitée pour privilégier une vision consolidée de paix et de développement socio-politique et économique. Nous espérons fort que ces idées recevront l’audition attentive et la compréhension objective de tous les Nigériens, notamment le CSRD, les politiques et tous les acteurs réfléchissant à la sortie de crise. Nous espérons que par l’échange constructif les Nigériens arriveront à sortir de cette crise.
Nous tentons de rappeler, dans ce qui suit, la crise politique qui a fait vibrer le Niger depuis fin 2008 jusqu’à la veille du coup d’Etat intervenu le 18 février 2010. Nous tenterions également de situer le coup d’Etat dans son contexte socio-politique. Cette présentation est chronologique et se concentre sur les faits majeurs. Nous proposerons, dans un autre article à venir sur le site de CDC, une analyse critique approfondie, qui mette l’accent sur les enseignements historiques à tirer de cette crise.
Un des faits publics qui ont constitué le déclic marquant de la crise politique au Niger est le rassemblement de manifestants à l’Assemblée nationale le 21 décembre 2008 pour soutenir la prolongation du mandat présidentiel de Mamadou Tandja pour une durée de 3 ans. Auparavant, les médias d’Etat avaient déjà diffusé des images de rassemblements dans différentes régions du Niger présentées comme des appels à la continuité du mandat du président Tandja.
Durant plusieurs mois, le débat s’est amplifié mettant en scène des acteurs politiques et des acteurs se réclamant de la société civile, le président Tandja restant muet et à l’écart de toute question sur l’idée de Tazarcé (tazarce en langue hausa signifie continuité, l’acception Tazarcé a été désormais consacrée au Niger pour désigner la tentative de prolongation du mandat du président Tandja et, par extension, la crise politique qui en a découlé).
Le président Tandja a attendu le 27 mars 2009 et la visite du président français Nicolas Sarkozy à Niamey pour faire sa première intervention publique sur la question, après plusieurs mois de débats déjà. Interrogé par les journalistes, ce jour-là, le président nigérien rassura qu’il n’entendait pas modifier la constitution (qui ne l’autorisait pas à un troisième mandat) et que, dit-il, « grandir pour moi c’est partir la tête haute »1, « Quand la table est desservi il faut partir »2.
Certains ont pensé que cette déclaration tranchait la fin du débat et que l’alternance politique allait avoir lieu, pour la première fois au Niger, dans les conditions les plus démocratiques (notons que Tandja bouclait deux mandats pour lesquels son élection, en 1999 et 2004 respectivement, avait été unanimement jugée transparente).
C’était sans compter que le président reviendra sur ses paroles. Selon lui, par la force des choses, car ne pouvant pas « rester insensible » à ce qui est présenté au monde comme «l’appel du peuple ». Les partisans du Tazarcé réclament du Parlement une mesure permettant la prolongation du mandat présidentiel pour, disent-ils, « permettre au président de finir les « grands chantiers » (projets miniers et pétroliers essentiellement) ; cette option sera d’ailleurs revendiquée.
Le 26 mai 2009, Tandja dissout le Parlement nigérien. Constitutionnellement, il n’avait pas à justifier publiquement cette décision, mais certains acteurs nigériens ont vite fait le lien entre cette dissolution et le fait qu’une partie de l’assemblée nationale (où le groupe politique de Tandja constituait pourtant la majorité) se soit déclaré farouchement contre toute tentative de prolongation du mandat présidentiel.
Cette idée peut sembler paradoxale du moment où l’article limitant la possibilité de mandats présidentiels à deux, donc une seule réélection1 n’est sujet à aucune révision2 même par l’Assemblée Nationale et il n’existe pas à notre connaissance de mécanisme permettant dans des conditions régulières la prolongation du mandat présidentiel par les députés.
Pourtant, Tandja lui-même avait réclamé, avant sa dissolution, que l’Assemblée Nationale, étudie la « demande du peuple ». Certains députés demanderont l’avis de la cour constitutionnelle sur la question ; celle-ci juge illégal tout changement mettant en cause l’article 36 de la Constitution.
Certains acteurs politiques avaient même commencé à réclamer que les députés condamnent le président devant la haute cour de justice (pour parjure et haute trahison) s’il venait à exiger la prolongation de son mandat en dépit de l’avis de la cour constitutionnelle. On peut donc remarquer en passant la coïncidence troublante entre la dissolution de l’Assemblée Nationale et la tentative de prolongation de mandat.
Prétextant être non lié par les avis de la cour (à distinguer des arrêts de cette même cour), le pouvoir en place décide d’organiser un referendum constitutionnel visant à modifier la limitation des mandats, malgré l’avis de la cour et l’opposition d’une partie des acteurs socio-politiques.
La cour constitutionnelle (dirigée par Mme Bazeye Fatimata) signe cette fois-ci un arrêt le 12 juin 2009 et déclare anticonstitutionnel tout référendum sur la Constitution. Le 26 juin 2009, la cour constitutionnelle réaffirme sa décision du 12 juin. Mamadou Tandja invoque l’article 53 de la constitution et s’octroie les « pouvoirs exceptionnels ».
Un débat sans précédent va suivre, les opposants et des acteurs des associations de droits et libertés jugeant cette évocation de pouvoir exceptionnel comme abusive et usurpatoire, les conditions juridiques de son application n’étant pas réunies (situations extrêmes pour le pays, avec présence de l’Assemblée Nationale pour en réguler l’utilisation).
Tandja suspend ensuite des articles de la Constitution, notamment l’article 105 déclarant que «Les membres de la Cour Constitutionnelle sont inamovibles pendant la durée de leur mandat » ; il déclare dissoute la cour constitutionnelle le 29 juin 2009.
Le 4 août 2009, le référendum « vote » une nouvelle constitution et crée la 6ième République tout en supprimant la limitation du nombre de mandat présidentiel et accordant une prolongation de trois ans de mandat à Mamadou Tandja.
En plus du déni de légalité, les observateurs nationaux crient au scandale en relevant les grosses irrégularités du scrutin1. Le 20 octobre 2009, malgré l’appel de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à reporter les élections législatives - boycottées par l’opposition - celles-ci sont organisées. Le Niger est alors suspendu de la CEDEAO.
Hostile à tout compromis, au début, Tandja accepte finalement que siège une négociation à Niamey. Le 21 décembre 2009, des négociations officielles commencent entre le gouvernement et l’opposition sous la médiation de la CEDEAO qui a dépêché sur place le général nigérian à la retraite Abdul Salami Abubakar. Ce début de négociation est venu à point nommé apaiser un climat dont on craignait l’inflammation, le 22 décembre 2009 étant la date d’expiration légale du deuxième mandat de Tandja.
Malheureusement, le dialogue de réconciliation est suspendu sans résultat satisfaisant le 4 février 2010. Des milliers de personnes participent à une manifestation antigouvernementale à Niamey. Une reprise du dialogue s’est faite toujours sans avancée significative, la partie gouvernementale posant comme préalable à tout compromis la reconnaissance de la nouvelle Constitution et le maintien de toutes les institutions qui en découlent, ce que les opposants refusent d’accepter.
Le sommet de la CEDEAO qui se tient à Abuja le 16 février 2010 maintient ses sanctions à l’encontre du Niger. Le ton se durcit et les opposants au régime crient désespérément au désaveu. Entre temps, l’isolement diplomatique du Niger se creuse, l’Union Européenne et les Etats-Unis ayant déjà commencé à exécuter des mesures de suspension d’aide ou des conventions antérieurement signées avec l’Etat nigérien.
Enfin, le 18 février 2010, un groupe de militaires constitués en « Conseil suprême pour la restauration de la démocratie » (CSRD) dépose Mamadou Tandja, et met fin à la 6ième République.
A la lumière de cet enchaînement, il apparaît que l’avènement de cette crise est le résultat du non respect d’un équilibre des pouvoirs consacré par la constitution du 9 août 1999.
En effet, celle-ci dans son article 115 dit :
En effet, un avis de la cour a été émis le 25 mai 2009 stipulant dans son article 4: « Le Président de la République ne saurait engager ou poursuivre le changement de la Constitution sans violer son serment »1 . Un arrêt de ladite cour vint le 12 juin confirmer cet avis. Il « Annule le décret n° 2009-178/PRN/MI/SP/D du 5 juin 2009 portant convocation du corps électoral pour le référendum sur la Constitution de la VIème République »2.
A la différence de l’avis qui le précède, l’arrêt de la cour lie le président de la République, car «Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours. Ils lient les pouvoirs publics et toutes les autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles»3. Mamadou Tandja a pourtant refusé d’obtempérer à cet arrêt, demandant à la cour de le considérer comme « inexistant », ce qui en réalité n’était pas faisable au risque pour la cour de se discréditer simplement. Ainsi donc, Mamadou Tandja aurait dû être déchu dès lors qu’il a refusé d’obtempérer à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 juin 2009.
Seulement, le dispositif institutionnel comporte un vide que Tandja a su exploiter. En effet, même si la cour constitutionnelle a le pouvoir juridique de destituer le président s’il viole la Constitution, elle n’a pas les moyens concrets de mettre cela en application. Il faudra trouver une solution à cette faille, dans la nouvelle constitution de la 7ième République et de manière générale, donner un pouvoir « réel » aux institutions juridiques telles que la Cour constitutionnelle ou la haute cour de justice.
Conscient qu’il est en réalité le seul à avoir un pouvoir réel, le Président de la République étant chef des Armées et la Police étant sous les ordres de son Ministre de l’Intérieur, Tandja n’a pas hésité à multiplier les violations de la constitution. Il est allé jusqu’à s’octroyer, de manière injustifiée, abusive et hors contexte les « pouvoirs exceptionnels » lui permettant de légiférer par ordonnance et décret. Il en a donc profité pour dissoudre la Cour constitutionnelle dont les membres sont pourtant inamovibles et organiser son référendum contesté.
Le 18 février 2010 donc, un coup d’Etat militaire met fin au régime issu de ce processus anticonstitutionnel.
A la lumière des éléments présentés et soutenus dans ce dossier, il ressort que les principaux éléments d'apréciation, enjeux et perspectives de la période que traverse le Niger actuellement peuvent être formulés comme suit :
Voici une chronologie succincte des évènements marquants de la crise politique que vient de traverser le Niger.