Nous tentons de rappeler, dans ce qui suit, la crise politique qui a fait vibrer le Niger depuis fin 2008 jusqu’à la veille du coup d’Etat intervenu le 18 février 2010. Nous tenterions également de situer le coup d’Etat dans son contexte socio-politique. Cette présentation est chronologique et se concentre sur les faits majeurs. Nous proposerons, dans un autre article à venir sur le site de CDC, une analyse critique approfondie, qui mette l’accent sur les enseignements historiques à tirer de cette crise.
Un des faits publics qui ont constitué le déclic marquant de la crise politique au Niger est le rassemblement de manifestants à l’Assemblée nationale le 21 décembre 2008 pour soutenir la prolongation du mandat présidentiel de Mamadou Tandja pour une durée de 3 ans. Auparavant, les médias d’Etat avaient déjà diffusé des images de rassemblements dans différentes régions du Niger présentées comme des appels à la continuité du mandat du président Tandja.
Durant plusieurs mois, le débat s’est amplifié mettant en scène des acteurs politiques et des acteurs se réclamant de la société civile, le président Tandja restant muet et à l’écart de toute question sur l’idée de Tazarcé (tazarce en langue hausa signifie continuité, l’acception Tazarcé a été désormais consacrée au Niger pour désigner la tentative de prolongation du mandat du président Tandja et, par extension, la crise politique qui en a découlé).
Le président Tandja a attendu le 27 mars 2009 et la visite du président français Nicolas Sarkozy à Niamey pour faire sa première intervention publique sur la question, après plusieurs mois de débats déjà. Interrogé par les journalistes, ce jour-là, le président nigérien rassura qu’il n’entendait pas modifier la constitution (qui ne l’autorisait pas à un troisième mandat) et que, dit-il, « grandir pour moi c’est partir la tête haute »1, « Quand la table est desservi il faut partir »2.
Certains ont pensé que cette déclaration tranchait la fin du débat et que l’alternance politique allait avoir lieu, pour la première fois au Niger, dans les conditions les plus démocratiques (notons que Tandja bouclait deux mandats pour lesquels son élection, en 1999 et 2004 respectivement, avait été unanimement jugée transparente).
C’était sans compter que le président reviendra sur ses paroles. Selon lui, par la force des choses, car ne pouvant pas « rester insensible » à ce qui est présenté au monde comme «l’appel du peuple ». Les partisans du Tazarcé réclament du Parlement une mesure permettant la prolongation du mandat présidentiel pour, disent-ils, « permettre au président de finir les « grands chantiers » (projets miniers et pétroliers essentiellement) ; cette option sera d’ailleurs revendiquée.
Le 26 mai 2009, Tandja dissout le Parlement nigérien. Constitutionnellement, il n’avait pas à justifier publiquement cette décision, mais certains acteurs nigériens ont vite fait le lien entre cette dissolution et le fait qu’une partie de l’assemblée nationale (où le groupe politique de Tandja constituait pourtant la majorité) se soit déclaré farouchement contre toute tentative de prolongation du mandat présidentiel.
Cette idée peut sembler paradoxale du moment où l’article limitant la possibilité de mandats présidentiels à deux, donc une seule réélection1 n’est sujet à aucune révision2 même par l’Assemblée Nationale et il n’existe pas à notre connaissance de mécanisme permettant dans des conditions régulières la prolongation du mandat présidentiel par les députés.
Pourtant, Tandja lui-même avait réclamé, avant sa dissolution, que l’Assemblée Nationale, étudie la « demande du peuple ». Certains députés demanderont l’avis de la cour constitutionnelle sur la question ; celle-ci juge illégal tout changement mettant en cause l’article 36 de la Constitution.
Certains acteurs politiques avaient même commencé à réclamer que les députés condamnent le président devant la haute cour de justice (pour parjure et haute trahison) s’il venait à exiger la prolongation de son mandat en dépit de l’avis de la cour constitutionnelle. On peut donc remarquer en passant la coïncidence troublante entre la dissolution de l’Assemblée Nationale et la tentative de prolongation de mandat.
Prétextant être non lié par les avis de la cour (à distinguer des arrêts de cette même cour), le pouvoir en place décide d’organiser un referendum constitutionnel visant à modifier la limitation des mandats, malgré l’avis de la cour et l’opposition d’une partie des acteurs socio-politiques.
La cour constitutionnelle (dirigée par Mme Bazeye Fatimata) signe cette fois-ci un arrêt le 12 juin 2009 et déclare anticonstitutionnel tout référendum sur la Constitution. Le 26 juin 2009, la cour constitutionnelle réaffirme sa décision du 12 juin. Mamadou Tandja invoque l’article 53 de la constitution et s’octroie les « pouvoirs exceptionnels ».
Un débat sans précédent va suivre, les opposants et des acteurs des associations de droits et libertés jugeant cette évocation de pouvoir exceptionnel comme abusive et usurpatoire, les conditions juridiques de son application n’étant pas réunies (situations extrêmes pour le pays, avec présence de l’Assemblée Nationale pour en réguler l’utilisation).
Tandja suspend ensuite des articles de la Constitution, notamment l’article 105 déclarant que «Les membres de la Cour Constitutionnelle sont inamovibles pendant la durée de leur mandat » ; il déclare dissoute la cour constitutionnelle le 29 juin 2009.
Le 4 août 2009, le référendum « vote » une nouvelle constitution et crée la 6ième République tout en supprimant la limitation du nombre de mandat présidentiel et accordant une prolongation de trois ans de mandat à Mamadou Tandja.
En plus du déni de légalité, les observateurs nationaux crient au scandale en relevant les grosses irrégularités du scrutin1. Le 20 octobre 2009, malgré l’appel de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à reporter les élections législatives - boycottées par l’opposition - celles-ci sont organisées. Le Niger est alors suspendu de la CEDEAO.
Hostile à tout compromis, au début, Tandja accepte finalement que siège une négociation à Niamey. Le 21 décembre 2009, des négociations officielles commencent entre le gouvernement et l’opposition sous la médiation de la CEDEAO qui a dépêché sur place le général nigérian à la retraite Abdul Salami Abubakar. Ce début de négociation est venu à point nommé apaiser un climat dont on craignait l’inflammation, le 22 décembre 2009 étant la date d’expiration légale du deuxième mandat de Tandja.
Malheureusement, le dialogue de réconciliation est suspendu sans résultat satisfaisant le 4 février 2010. Des milliers de personnes participent à une manifestation antigouvernementale à Niamey. Une reprise du dialogue s’est faite toujours sans avancée significative, la partie gouvernementale posant comme préalable à tout compromis la reconnaissance de la nouvelle Constitution et le maintien de toutes les institutions qui en découlent, ce que les opposants refusent d’accepter.
Le sommet de la CEDEAO qui se tient à Abuja le 16 février 2010 maintient ses sanctions à l’encontre du Niger. Le ton se durcit et les opposants au régime crient désespérément au désaveu. Entre temps, l’isolement diplomatique du Niger se creuse, l’Union Européenne et les Etats-Unis ayant déjà commencé à exécuter des mesures de suspension d’aide ou des conventions antérieurement signées avec l’Etat nigérien.
Enfin, le 18 février 2010, un groupe de militaires constitués en « Conseil suprême pour la restauration de la démocratie » (CSRD) dépose Mamadou Tandja, et met fin à la 6ième République.
A la lumière de cet enchaînement, il apparaît que l’avènement de cette crise est le résultat du non respect d’un équilibre des pouvoirs consacré par la constitution du 9 août 1999.
En effet, celle-ci dans son article 115 dit :
En effet, un avis de la cour a été émis le 25 mai 2009 stipulant dans son article 4: « Le Président de la République ne saurait engager ou poursuivre le changement de la Constitution sans violer son serment »1 . Un arrêt de ladite cour vint le 12 juin confirmer cet avis. Il « Annule le décret n° 2009-178/PRN/MI/SP/D du 5 juin 2009 portant convocation du corps électoral pour le référendum sur la Constitution de la VIème République »2.
A la différence de l’avis qui le précède, l’arrêt de la cour lie le président de la République, car «Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours. Ils lient les pouvoirs publics et toutes les autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles»3. Mamadou Tandja a pourtant refusé d’obtempérer à cet arrêt, demandant à la cour de le considérer comme « inexistant », ce qui en réalité n’était pas faisable au risque pour la cour de se discréditer simplement. Ainsi donc, Mamadou Tandja aurait dû être déchu dès lors qu’il a refusé d’obtempérer à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 juin 2009.
Seulement, le dispositif institutionnel comporte un vide que Tandja a su exploiter. En effet, même si la cour constitutionnelle a le pouvoir juridique de destituer le président s’il viole la Constitution, elle n’a pas les moyens concrets de mettre cela en application. Il faudra trouver une solution à cette faille, dans la nouvelle constitution de la 7ième République et de manière générale, donner un pouvoir « réel » aux institutions juridiques telles que la Cour constitutionnelle ou la haute cour de justice.
Conscient qu’il est en réalité le seul à avoir un pouvoir réel, le Président de la République étant chef des Armées et la Police étant sous les ordres de son Ministre de l’Intérieur, Tandja n’a pas hésité à multiplier les violations de la constitution. Il est allé jusqu’à s’octroyer, de manière injustifiée, abusive et hors contexte les « pouvoirs exceptionnels » lui permettant de légiférer par ordonnance et décret. Il en a donc profité pour dissoudre la Cour constitutionnelle dont les membres sont pourtant inamovibles et organiser son référendum contesté.
Le 18 février 2010 donc, un coup d’Etat militaire met fin au régime issu de ce processus anticonstitutionnel.