Le Niger, en dépit de ses ressources abondantes et variées, miné par des querelles byzantines et relents égoïstes, a marqué d’une grande absence sur la scène économique, sur la scène internationale, en un mot, sur les paliers du développement, les cinquante premières années de son indépendance.
De l’esclavage à la colonisation, de la colonisation à la négation de son histoire, l’Afrique toute entière en effet, ne cesse d’étaler ses divisions, son hésitation, et un laisser-faire devant l’émergence successive d’ordres culturels, économiques, et géostratégiques, le plus souvent prédateurs à son égard. Le troisième millénaire à son tour annonce un nouvel ordre : la mondialisation.
Cette nouvelle pensée de confession économique énonce des enjeux aussi bien de défi que d’opportunité. Elle sape les conceptions traditionnelles des barrières physiques, de la souveraineté d’Etat, et de la citoyenneté. Tout aussi, elle offre plus que jamais à l’Afrique, dans ses vastes et riches diversités, une rare opportunité de commémorer les actions du passé et conjuguer les synergies du moment, en associant notamment les nationaux expatriés à la gestation de la grande Renaissance, gage de compétitivité et de sauvegarde de l’héritage des peuples et de leurs intérêts vitaux.
Pour la réalisation de ces grands desseins et au vu de l’essence du débat et des dynamiques prometteuses qui s’offrent à l’Afrique en général et donc au Niger, il est devenu plus qu’impératif pour les gouvernants, pour la classe politique, ainsi que pour l’ensemble de la société civile d’impliquer systématiquement la diaspora dans la conception, l’exécution et la gestion des stratégies inhérentes à leurs interventions respectives.
L’expatrié ne peut à son tour, et sous aucun prétexte, se soustraire aux exigences tant morales que matérielles, auxquelles l’assujettit son statut de citoyen. Il se doit au contraire d’incarner les valeurs ancestrales, à travers la réflexion, la proposition, et la participation active aux actions d’intérêt général visant à promouvoir les idéaux humanitaires, d’entraide et à assurer l’amélioration du bien-être commun, ainsi que l’observation des exigences civiques, y compris à l’égard de son lieu d’accueil.
Aujourd’hui, le Niger tente de se remettre une fois encore. A l’aube de cette investiture historique notamment, le Niger s’efforce davantage de se délivrer des effets combinés de démons politiques et de calamités naturelles qui l’assaillent depuis des décennies, afin de s’inscrire irréversiblement dans une logique de reconstruction et de progrès.
Dans cette effervescence de restauration démocratique, nous nous devons de jeter les bases d’une conceptualisation du statut de l’expatrié, ainsi que des structures auxquelles il adhère, en tant qu’outils d’intégration, de fraternité, d’entraide, et de participation au débat sur la réalisation effective du progrès.
Nous ne devons l’oublier, ces moments qui doivent aussi être ceux du recueillement, nous les devons aux sacrifices des hommes et des femmes laissés sur place au Niger.
Face, en effet, à des douloureuses épreuves inutilement imposées par l’aveuglement et l’ingratitude de certains, ce sont l’ensemble des couches constituées (des politiciens aux magistrats, de la société civile aux forces militaires) qui se sont spontanément dressées dans un élan patriotique républicain pour défendre et sauvegarder la dignité et les aspirations du peuple Nigérien.
Alors même qu’on célèbre ce retour démocratique, il serait effectivement ingrat pour l’histoire de n’évoquer ne serait-ce que les symboles marquants de ces forces républicaines : Fatouma Bazeye pour la communauté judiciaire; Morou Amadou pour la société civile ; les artificiers du 18 Février (du General Salou aux soldats de rang de notre armée) ; et le martyr de la résistance: Moumouni Djermakoye, que les plumes de l’histoire retiennent la mémoire de ton sacrifice!
S’agissant du peuple tout entier, fourvoyé à outrance et victime d’une récupération abusive, au référendum sur la 7ème république, si le oui massif n’en constitue pas une nouveauté, le taux de participation record est une affirmation tonitruante du rejet, même à titre posthume, de Tazartché et de sa « 6ème République ».
En cela, les lésions subies par le processus ne sont donc pas un recul démocratique ; tout au contraire, elles lui ont permis de se mesurer et de démontrer la dénomination commune des forces interposées et leur capacité à surmonter des épreuves dont ont souffert toutes les grandes causes de l’humanité. Oui, c’est un signe de vitalité démocratique!
Pour s’en convaincre davantage, Il ne suffit que de se rappeler comment le peuple, sans complexe identitaire aucun, est parti remettre d’un geste insoupçonnable et plus libre que jamais, le flambeau de sa souveraineté à un combattant de la résistance, en choisissant tout de même d’accorder honorablement au « perdant », celui-là même qui hier seulement le bâillonnait, le prestige et la lourde responsabilité de le représenter à l’opposition.
À bien méditer, ces expériences montrent que l’engagement politique, malgré d’éventuels ratés, n’est pas une entreprise de lâcheté, mais un exercice noble dans lequel doit s’impliquer tout citoyen.
Les gouvernements successifs au Niger se sont illustrés par la prévalence de controverses et autres scandales politico-financiers ayant suscité émoi et indignation non seulement sur place, mais aussi au sein de la diaspora. Des voix dénoncent une gestion-épouvantail, d’autres, une classe politique « exécrable ». A succession de temps, la consternation s’empare de tous les nerfs et laisse s’installer un débat viral qui renforce le désamour et empêche qu’on s’attarde sur le fond des questions pendantes.
La presse privée, formidable outil démocratique, appelée à informer en vue d’éduquer (principale source d’abreuvage sur la situation du pays pour les Nigériens donc de l’extérieur), prend un malin plaisir à se livrer à la tentation irrésistible d’un cynisme lucratif et parvient, en raison de son caractère sensationnel, à stagner les discussions presqu’exclusivement autour du revers, du dramatique, ou encore du sentimental, occultant obstinément la nécessité de la proposition et de la réflexion aux solutions.
C’est ainsi qu’à l’exception de l’organe gouvernemental, le Sahel, qui s’efforce d’offrir un regard sur l’action gouvernementale et d’ouvrir un espace réel sur des perspectives de société, en consacrant des pans entiers de ses colonnes sur des questions de santé, d’économie, d’éducation, d’environnement (pour n’en citer que cela), la presse écrite s’est bornée à leur réserver plutôt un portail contigu, préférant attiser des frustrations au demeurant justifiables et légitimes, afin de s’assurer une lisibilité.
C'est pourquoi, au nom de l'amour que nous avons pour elle et de notre attachement à sa liberté, il faut que nous puissions vaincre la peur de la controverse pour fustiger avec énergie cette constipation de la presse, cette entreprise de mutilation des esprits, car autant les politiciens sont coupables, autant certains milieux journalistiques manquent d’éclat professionnel et de considération pour le public et exhibent une conception paranoïaque de leur rôle.
S’agissant de la classe politique, éclaboussée, au contact avec le pouvoir, dans d’innombrables compromissions et focus principal des journaux et des conversations de salon, elle ne manque pourtant pas d’attrait positif.
La ferme détermination de ces acteurs à assoir un mécanisme électoral crédible, notamment en œuvrant à sa bonne organisation et en acceptant, à l’exception de l’époque trouble de Mainassara Baré, les résultats des nombreuses échéances locales, municipales, législatives et présidentielles tenues les 20 dernières années et jugées justes, équitables et transparentes, avec au comble du succès toutes les fois, des félicitations par les perdants, aux vainqueurs, mais dont on ne semble guère se réjouir, constitue irréfutablement une exception nigérienne. Bon nombre de pays africains dont on cite pourtant l’exemplarité démocratique, sont confrontés en effet, tantôt à de vives tensions, des violences pré-électorales ou postélectorales, tantôt à la mauvaise foi légendaire qu’ont les perdants à reconnaitre les résultats, même lorsqu’ils sont justes, préférant pour chasser le froid, nuire à la respectabilité de leurs pays.
Ce sont aussi ces mêmes acteurs, dont beaucoup sortaient même du camp au pouvoir, qui avaient commencé les premiers à sévir contre les réflexes despotiques du Président déchu et les gestations embryonnaires de son entreprise. Au Niger, la classe politique a énormément contribué à cette paix qui nous fait beaucoup espérer et rêver.
Dans une plus large mesure par ailleurs, la fidélité hallucinante des militants aux positions de leurs leaders respectifs, établie que ces derniers restent, du moins aux yeux des premiers, suffisamment populaires et donc porteurs de mandat. L’admissibilité d’un tel constat exigerait alors de répudier les positions sulfureuses, irréalistes, et antidémocratiques qui demanderaient de les excommunier et recommande qu’on passe du décor au fond.
Ces indicateurs supposent la présence d’angles positifs à capitaliser dans la recherche d’issue aux autres problèmes tels que la corruption, pourvu que les lamentations s’estompent. Comme si les lamentations suffiraient à les disqualifier, comme si les disqualifier suffirait à éradiquer le mal.
La question de la corruption est d’ailleurs une aberration sociale et systémique qui appelle à bien plus que la disqualification d’un groupe, mais à un travail transversal qui, pour bien être mené, exige qu’on sorte le débat de cette configuration, pour l’inscrire dans une approche encline à l’identification des acquis, à l’étude des problèmes, et à la recherche de solutions réelles et durables, afin de procéder au modelage de la relève générationnelle.
Comme tout citoyen lambda, le politicien au demeurant, est lui-même un mortel avec vertus et défauts, honnête et malhonnête, patriote et fuyant. La propension à le déshumaniser n’est que la facilité que l’on s’offre à stigmatiser, en raison d’actes et comportements dont on est soit même, à vrai dire à plusieurs fois déjà, coupable.
Le nouveau gouvernement s’installe avec dans ses offices un déluge d’interpellations (pour la plus part objectives) et de sages conseils. Il revient dans cette même dynamique à la diaspora de s’adresser à elle-même pour faire son propre inventaire et s’interroger sur ses maux et les choix à opérer. Car s’il est évident que les différents gouvernements n’avaient pas assez fait, il reste tout aussi évident que les disputes et autres supputations au sein de la diaspora tranchent avec les vœux sans cesse exprimés de voir se réaliser au Niger le développement tant rêvé.
Si on proposait par exemple que chaque Nigérien contribue pour doter tour à tour les régions d’hôpitaux modernes, l’idée, si puissante qu’elle soit, s’écraserait contre les méandres du soupçon qui s’interfère encore et toujours entre aspirations et réalisations, comme si l’insécurité des biens communs est une fatalité dont aucune imagination ne peut venir à bout.
Aussi, les mêmes griefs faits aux politiciens se prolifèrent, quand bien même dans des dimensions réduites, au sein de la diaspora. Combien d’entre nous ne sont-ils pas parvenus ou ne souhaiteraient pas au cours d’un voyage, soustraire à l’aide d’un parent, ami, ou connaissance, un poste d’ordinateur à la vigilance douanière? Quelle morale est-on disposé à se faire, car quiconque a volé un morceau de viande, par prédisposition ou poussé par l’exploit, prendra un jour la carcasse entière?
Mais le parallèle alarmant du microcosme de la diaspora demeure cette fragmentation progressive du tissu communautaire. Il est devenu notamment fréquent aujourd’hui de voir des Nigériens, flattés par le succès académique ou la réussite professionnelle, se retrancher dans des postures somptueuses pour regarder avec dédain la communauté qu’ils qualifieraient de « non éduquée » ou « d’infréquentable », s’ils n’allaient tout simplement pas s’en écarter, prétextant : «non, non, non, j’ai peur des nigériens moi ! »
Pourtant, aussi évident que la réalité du succès tienne à l’effort personnel, il n’en demeure pas moins que le processus devant y aboutir lui, avait dû s’amorcer au dépens des « non éduqués » et autres membres de la société dont nos Etats, à cause des précarités de toute sorte, avaient failli offrir une éducation ou étaient obligés de reléguer aux oubliettes. A chaque nigérien, doit-on rappeler, sachant lire et écrire, durant le processus d’évolution de nos Etats, correspondent quatre autres au départ sacrifiés, par faute de bancs et d’écoles. Donc à priori, notre essor à chacun n’est pas le seul fait du mérite, mais celui surtout du privilège reçu qui appelle à plus d’humilité et au sens de l’urgence et de la responsabilité. Les frustrations et autres humiliations fréquemment prétextées ne peuvent pas légitimer la constitution de castes au sein d’une même famille. Ces réalités et tant d’autres encore doivent à notre tour nous interpeller.
En somme, plutôt que d’assener à longueur de journée, des jugements de valeur ou de livrer un tragi-débat qui, au mieux, ne s’apparente qu’à la recherche de bouc-émissaires et d’une justification morale à une attitude antagoniste et de retrait vis à vis d’un mécontentement généralisé. une attitude qui, ni ne peut être justifiée par la persistance d’une corruption rampante, encore moins par la récurrence d’instabilité sociopolitique-, les Nigériens de l’extérieur, de Cotonou à Bruxelles, de New York à Pékin, se doivent de revendiquer leur participation au travail, à l’effet de constituer une force de proposition et de pression, à travers l’institution d’un débat véritable et la conduite d’actions ciblées aidant au renforcement des capacités de l’Etat et des autres intervenants de la société. D’abord :
par la mutualisation des moyens, en réorganisant les structures communautaires et en renforçant le Haut Conseil des Nigériens de l’extérieur (HCNE) -si les Nigériens du Canada font don d’ordinateurs par-ci, ceux du Nigeria ou de Paris des sacs de riz par là, la portée ne sera que légère et de faible durée. Une des aberrations d’ailleurs de la constitution actuelle est d’exclure les nigériens de l’étranger de la représentativité (un des principes pieux de la démocratie qui voudrait que chaque constituante géographique d’une nation soit présente dans l’hémicycle afin d’exprimer ses préoccupations et donner ses perspectives dans le processus des discussions des quelles découlent les grandes orientations nationales). Cette exclusion monumentale de plusieurs millions de Nigériens d’Afrique de l’’Ouest, d’Europe, d’Amérique, et d’Asie (dont le support économique, bien qu’essentiellement informel, représente pourtant une décente portion du PIB), à laquelle s’ajoutent les violations répétées sous des prétextes fallacieux de leur droit constitutionnel du vote, doit être au centre du combat ;
par la multiplication ensuite des cadres de discussion, comme les blogs et autres animations dans des journaux, radios et télévisions, afin d’accroitre les échanges d’idées et de propositions utiles ;
par la participation aux efforts d’informatisation (véritable arsenal dans la lutte contre la corruption et le renforcement de la productivité) de l’administration, ainsi que l’offre bénévole d’expertises dans divers domaines ;
par l’assistance aux universités, aux hôpitaux, aux ONG, et aux cadres œuvrant dans divers secteurs ;
par la collaboration également avec les parlementaires, en les aidant à s’équiper des outils nécessaires de travail et à prendre pleinement à charge les exigences de leur travail : un député a besoin de personnel compétent, de formation continue, de documents et équipements de travail, et d’accès aux nouvelles technologies de communication par exemple, pour mieux faire son travail ;
par le lobbying visant à promouvoir le Niger dans les milieux politiques, artistiques et d’affaires des pays de résidence, dans une perspective de stimuler les investissements économiques et en faveur de programmes divers ; etc.
S’il n’est pas à prétendre qu’un pays ne puisse faire sans sa diaspora, pour un patient dans la condition du Niger, faire sans elle ou pour celle-ci de se disperser, infligerait des souffrances supplémentaires et retarderait toute évolution.
Ainsi aux politiciens de tout bord, le Niger est pour la démocratie ! Son processus est irréversible! Maintenant que la cavale reprend, il appartient au gouvernement, à la diaspora et à toute la société de se parler décisivement, afin de briser l'élan des contradictions qui à chaque coup de pelle déversent leur lot d'échecs et de déceptions sur les aires du chantier.
A la diaspora nigérienne de vider la charge émotive, de proscrire les querelles, et de marquer résolument le pas à l'instar des autres acteurs; et que les images d'une Afrique trainée, infantilisée et collectivement humiliée, tant en Arabie, en Orient qu'en Occident, nous immunisent contre appréhensions personnelles.
Aux élus actuels et à tous les acteurs sur place, il n'existe pas un programme politique constructif, une gouvernance moderne qui puisse faire l'économie d'un accompagnement permanent par tous ses sujets, partout où ils se trouvent. La solution aux problèmes ne viendra pas de l'effort d'un génie, mais du génie de l'effort, l'effort collectif.