La 6ème République et son cheval de Troie

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Par Dicko Abdourahamane

Note de CDC : Les propos de ce texte qui est une contribution extérieure n’engagent que leur auteur et ne sont pas forcément les points de vue de CDC. Une version antérieure de ce texte a été publiée indépendamment dans la presse écrite nigérienne, sous un titre légèrement différent. Cette version, révisée, est reprise par CDC sur l’initiative de contribution de l’auteur.

La naissance dans des conditions contestées d’une 6ème République au Niger a instauré une situation politique inédite avec un régime politique jugé par beaucoup taillé sur mesure pour un seul homme et son clan. Pourtant, l’Histoire nous apprend que cette situation n’est ni pérenne ni singulière. Elle consacre un phénomène connu et étudié par les politologues depuis le 18ème siècle: la courtisanerie. 

En observant les évènements politiques survenus en 2009 au Niger et la situation qui y prévaut depuis, nous proposons ici un parallèle édifiant avec le thème de l’étude écrite en 1764 par le baron Paul Henri Dietrich D'Holbach, intitulée "Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans"1.

Un amateurisme politique couronné par l'anathème infligé à la constitution du 9 août 1999, la tromperie intellectuelle affichée dans les débats publics, des propos d'un nouveau type, des atteintes à la démocratie toujours plus graves, l'instrumentalisation du peuple, la légitimation de l’art de ramper des félons: même néophyte des questions de démocratie, on sait qu’on vit une période de mutations prônant la religion du chaos. Mais dans la cacophonie des débats médiatiques, il manque des repères pour discerner les vrais enjeux, et surtout pour prendre toute la mesure de cette mutation si complexe et dangereuse. Au nom de la responsabilité citoyenne, tout intellectuel nigérien sincère se doit d'offrir au peuple une mise en perspective de ces évolutions, dans toutes leurs dimensions. De façon saisissante, nous sommes convaincus que la phase d'accélération de l'incinération de la république sera lourde de conséquences. Cet engrenage de violences, conjugué à l'empire sans partage de l'argent, du pouvoir et à l'irresponsabilité des dirigeants placera notre cher Niger parmi les états voyous qui, vainement réfuteront leur place de mauvais derniers en termes d’indices de développement. « Évoquer les périls auxquels nous sommes confrontés, comme disait Michel Baud, n'est pas signe de pessimisme, mais d'esprit de responsabilité. Evaluer les problèmes et leurs sources, redonner prééminence aux valeurs, esquisser des stratégies et travailler à les mettre en œuvre: là réside l'optimisme »2.

A ce titre, j'ai la conviction que tout obstacle peut être capitalisé de façon à ce qu’il soit un avantage. La seule chance dont les citoyens nigériens disposent, c’est qu’ils savent déjà situer ces deux valeurs relatives que sont l'obstacle et l'avantage. L'obstacle, c’est qu’un État est perdu dès que ceux qui gouvernent ne distinguent plus les gens de bien des méchants. L'avantage, c’est d'avoir réussi à dénicher ceux qui s’inscrivent en faux contre les règles en vigueur de la république. Certains d’entre eux visent sous le couvert de notions réputées nobles (justice, souveraineté du peuple, refondation de la République) à égarer, à instrumentaliser le peuple.

J’en viens, maintenant à la question du dialogue telle qu'elle est envisagée par la classe politique actuelle. Croire qu'une solution résultera de ce dialogue c’est se bercer d’illusions. Le dialogue suppose deux ou des parties en conflit qui acceptent de poser sur la table les sacrifices qu’elles sont prêtes à consentir. Il apparait dès lors que ne pas avoir les mêmes avis est dans l'ordre normal des choses. Mais, mêmes divergents ces avis se situent dans la logique et non aux antipodes du droit. Or, dans la crise actuelle qui secoue le Niger, on ne peut pas parler de conflits mais plutôt de délit. Car le bafouage des textes (constitution de 1999), le contournement des règles (recours abusif au pouvoir absolu y compris pour suspendre des articles de la constitution) et la liquidation par force des institutions (cour constitutionnelle de Mme BAZEYE) ont été flagrant. A la place du dialogue, j’estime que les responsables politiques doivent se demander s’ils ont la force et les moyens d'asphyxier ce régime agonisant. La grande responsabilité incombe au peuple nigérien et non aux institutions internationales. Le seul pouvoir de ces dernières c'est de fermer le robinet, mais malheureusement toutes les dictatures africaines ont pu résister pour un temps à ce type de sanctions que nous jugeons inefficaces à court terme. L’état comateux dans lequel est plongée la république oblige ses enfants à dire non de vive voix à l'instauration d'une république des spectacles qui, progressivement sape les fondements de la démocratie et de la solidarité collective. En effet, la fracture reste totale et les discours que développent ces hommes de cour souffrent d'une véritable enflure verbale qui frise la mauvaise foi.

Amusons-nous maintenant à voir qui sont ces marchands d'illusions et quelle est leur vraie nature. Un sage danois compare ses êtres amphibies à la statue composée de matières très différentes. Il s’exprime en ces termes « La tête du courtisan zélé est, dit-il, de verre, ses cheveux sont d’or, ses mains sont de poix-résine, son corps est de plâtre, son cœur est moitié de fer et moitié de boue, ses pieds sont de paille, et son sang est composé d’eau et de vif-argent. ». A moi d’ajouter que ces gens si difficiles à définir, différemment des gens ordinaires, ont plusieurs âmes. Quelle est leur nature à présent ?

La lecture de tous les évènements nous permet clairement de comprendre que toutes ces personnes s'abreuvent dans la même mare et portent la même robe. Ils sont « versatiles; otages de l’avarice la plus inouïe et de l’avidité la plus insatiable, de la plus extrême prodigalité, de l’audace la plus décidée, de la plus honteuse lâcheté, de l’arrogance la plus impertinente, de la politesse la plus étudiée »3 ; en un mot ils ressemblent au serpent de mer qu’on représente avec 7 têtes. Si ingénieux ces spécialistes dans l’art de ramper sont capables mêmes étant natifs du désert du Ténéré, de vendre de la neige à un esquimau.

Leur dernière ingéniosité ressemble parfaitement à un cheval de Troie offert au peuple Nigérien. Pour votre information, Troie est une ancienne ville d'Asie, située non loin de la mer Égée, à l'entrée de l'Hellespont4. Elle se situe dans l'actuelle province de Çanakkale en Turquie. L’histoire raconte que pendant près de 10 ans les grecs ont essayé d'assiéger la ville de Troie protégée par ses remparts. Toutes les tentatives ont lamentablement échoué. C'est alors qu’Épéios (un héros grec de l’époque) a eu l’ingénieuse idée de construire un géant cheval en bois creux dans lequel plusieurs soldats peuvent se cacher et de l'offrir aux Troyens. Un espion grec réussira à convaincre les troyens d'accepter ce cheval, cadeau des grecs en guise d’amitié et de paix des braves. Le cheval est tiré dans l'enceinte de la cité qui fait alors une grande fête. Lorsque les habitants sont pris par la torpeur de l'alcool, la nuit, les Grecs sortent du cheval et ouvrent alors les portes, permettant au reste de l'armée d'entrer et de gagner la bataille. De cette ruse grecque la célèbre expression a vu le jour « méfiez-vous des Grecs qui apportent des cadeaux », rappelant qu'il s'agissait ici, au contraire, de cadeaux qui apportaient des Grecs. Ce rapprochement entre la levée des poursuites judiciaires à l'encontre des opposants et le cheval de Troie offert aux troyens est parfait. Tous permettent de désarmer l’ennemi et de l’avoir à la portée de main.

 

Dicko Abdourahamane

PhD Sociologie, Université de Wuhan.

  • 1. Ce texte est étonnamment d’actualité au Niger. Nous vous en recommandons vivement la lecture. Il peut être téléchargé librement ici.
  • 2. Michel Baud. Le Basculement Du Monde. De la Terre, des hommes et du capitalisme. La Découverte, 2000.
  • 3. Paul Henri Thiry, le baron d’Holbach, Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans.
  • 4. Lire la page de l’encyclopédie en ligne Wikipedia consacrée à Troie.

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