Dieu, nos gouvernants et nous !

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Mosquée d'Agadez, promeneur et chèvre

Ce qui ne cesse de m’interpeller depuis que j’observe nos sociétés, ce sont les relations que d’aucuns établissent en politique, entre les divinités, les gouvernants et les gouvernés. Ce qui me révolte c’est le sort fait aux peuples.

Révolté, je le suis davantage, lorsque je vois ces peuples qui se laissent convaincre que ce sort procède de la volonté de Dieu. Je ne suis pas dans le secret de Dieu, mais la faculté de discernement qu’il m’a accordé m’autorise à dire que ce sort ne vient ni de «Ikon Allah » ni de « Ir Koye wadou». Est-ce la volonté de Dieu que les richesses mises par ses soins sur nos terres, pour le profit de tous, soient accaparées par quelques-uns?

Est-ce la volonté de Dieu que l’injustice s’enracine, croisse et fleurisse sur nos terres?

Est-ce la volonté de Dieu que la corruption se loge dans nos institutions et les gangrène?

Est-ce la volonté de Dieu d’affamer le peuple, de le priver des lumières de l’éducation et des soins de santé?

Dieu nous a fait tous hommes pour que nous vivions ensemble, c’est la politique qui nous a fait différents. C’est elle qui a mis les uns au dessus des autres. La politique est la gestion des affaires de l’homme par l’homme. C’est une activité humaine, trop humaine. Elle se déroule ici-bas. N’attendons donc pas de Dieu, le si Haut, qu’il descende dans l’arène de nos luttes. Ceux qui, en ce domaine entièrement livré aux hommes, évoquent le non de Dieu ou pour mener leurs actions ou pour les justifier, ne sont que des contempteurs. La politique ne connaît et n’admet d’autre acteur que l’homme.

Trop souvent, à la hardiesse de nos gouvernants, nous répondons par l’incurie.

Les gouvernants ne tiennent pas promesse, nous disons : «Saye Hankouri» Ils abusent du pouvoir que nous leur avons confié, nous nous écrions : «Kala Sourou »

Voilà que ces hommes nous leurrent, nous dépouillent, nous clamons : Saye Hankouri » Ils nous privent de nos droits et de nos libertés, nous répétons : « Kala Sourou »

La politique est action. Sourou et Hankouri (patience) sont insouciance. Pendant que les gouvernants continuent de nous duper, de nous opprimer, de nous exploiter, ils nous astreignent à l’inaction. Nous les invoquons sans cesse, nous les invoquons en vain, ils ne sont point aptes à nous tirer d’affaires. En nous remettant entièrement à eux, nous renonçons à nos droits et à nos libertés, nous abdiquons, nous abandonnons le champ politique à la seule volonté des gouvernants. Sourou et Hankouri, en dépit des apparences, ne sont pas nos alliés. Ce sont des ennemis à abattre.

Ici, dans l’arène politique où l’homme est seul avec l’homme, on ne saurait rendre Dieu responsable de ce qui advient, de ce qui nous arrive. La volonté de Dieu écartée de nos affaires humaines, il est aisé de constater que nous sommes, nos gouvernants et nous, coresponsables des règles, des conventions et des lois que nous nous donnons et acceptons pour conduire notre vivre-ensemble.

En politique, tout bien comme tout mal viennent de l’homme et de l’homme seulement. Ici, il est plus question de maux que de biens, de ces maux que les gouvernants nous infligent et que notre incurie nous fait endurer. Mais fort heureusement, « l’homme est le remède de l’homme».

Je me suis donc mis à chercher le remède de nos maux en l’homme. J’ai passé l’homme en revue, j’ai examiné ses catégories. Il m’est apparu que ce remède ne pouvait venir de ceux qui hantent de leur présence interminable les lieux du pouvoir. D’aucuns les appellent : la vieille garde. Ailleurs on les nomme ceux d’en haut, les grands ou encore les grand-frères.

Mais qu’ont-ils fait de grand jusqu’à présent?

Je ne vois que petitesse et médiocrité dans leurs réalisations.

Chez nous, le terme de grand-frère n’est pas seulement une catégorie de la filiation, c’est aussi une catégorie sociale, c’est un statut qui se mérite. Entre les aînés et les cadets, sont instituées des relations en vertu desquelles le grand-frère a l’obligation de prendre soin des petits-frères, de les protéger, de subvenir à leurs besoins. En retour, les petits-frères sont tenus d’accorder respect et honneurs au grand-frère.

Où en sommes-nous, après que ces grands-frères qui nous dirigent se soient occupés de la gestion de nos affaires? Sont-ils encore dignes de notre respect? Devons-nous leur accorder des honneurs?

Ils ont oeuvré à la satisfaction de leurs besoins au détriment des nôtres. Ils ont accumulé des richesses qu’ils protègent. Ils se sont constitués en une caste de privilégiés qui nous nargue. À côté d’eux, nous vivons dans la précarité, dans la pauvreté. La satisfaction de nos besoins les plus élémentaires occupe notre quotidien, le désoeuvrement nous démunit et diminue le pays. Ce pays qui est le leur, ce pays qui ne nous donne plus rien - même plus de l’espoir - ils nous contraignent à le quitter pour des pays qui ne sont pas les nôtres, à la recherche d’un bonheur illusoire. Nous sommes las de traverser les océans et les déserts, de leur payer un tribut en vies humaines.

Des hauteurs où le pouvoir, les privilèges, les passe-droits et les rapines les ont placés, ils mesurent la profondeur du gouffre qui les sépare du peuple qui trime, qui peine, qui agonise mille pieds au-dessous d’eux. Vouloir qu’ils rejoignent le peuple, c’est leur demander de se jeter dans le précipice. Ils s’y refuseront. Rester au sommet, endiguer tout mouvement descendant, empêcher tout mouvement ascendant, tel est leur salut. Ils sont réfractaires au changement, le statu quo les satisfait, ils s’ingénieront à le maintenir. Ils n’ont aucun remède à proposer à nos maux.

Naïfs, ceux qui continuent de croire que ces dirigeants nous aideront à combattre ces maux. Une fois que nous aurons compris que nos gouvernants et nous sommes collectivement responsables de ce sort, mais que celui-ci est plus préjudiciable pour nous qu’il ne l’est pour eux; dès que nous aurons compris que nos gouvernants se soucient peu de ces maux qui nous affectent, il ne nous restera plus qu’à nous tourner vers nous-mêmes, à nous en remettre à notre volonté propre de triompher.

Nous, entendons par là l’ensemble des forces progressistes du peuple, celles qui savent que le statu quo les condamne à la régression, puis à la mort, celles qui, par conséquent, veulent le changement et le portent en elles. Si ce changement intéresse toutes les forces progressistes, il concerne plus particulièrement la jeunesse qui est avenir. Je crois donc que le remède est dans la jeunesse et que la jeunesse est le remède.

Je vois cette jeunesse qui lève enfin la tête et ose dire non aux grands qui enfantent la petitesse, aux grands-frères qui manquent de vertus, aux gouvernants qui ne répondent pas à leurs attentes. Je crois en une jeunesse instruite par les erreurs et les errements des aînés, une jeunesse consciente des enjeux présents et à venir, et capables de relever les défis.

Je place mes espoirs dans une jeunesse qui n’est ni de droite ni de gauche, parce que ses repères ne se situent plus dans une géométrie politique qui n’est pas de chez elle; dans une jeunesse qui aborde les problèmes d’un point de vue africain, qui pense son pays en Afrique et l’Afrique dans le monde.

Je vois émerger une nouvelle génération d’Africains qui piétine les tares de la tradition, détruit les archaïsmes et les servitudes, s’émancipe des entraves coloniales et néocoloniales; une nouvelle génération d’Africains qui ne souffre ni de complexe d’infériorité ni de complexe de supériorité, parce qu’elle aura traqué jusqu’au plus profond de sa conscience et a expulsé tous les réflexes de subordination, toutes les structures aliénantes que l’éducation y a placés.

Je vois cet Africain nouveau qui est l’égal de l’homme où qu’il se trouve, qui n’a besoin de l’homme d’ailleurs qu’autant que celui-ci a besoin de lui; qui n’a besoin d’aucune autorité que la sienne pour justifier et légitimer ce qu’il est, ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce qu’il dit.

Je vois ces Africains qui auront retrouvé confiance en eux-mêmes, qui se seront réconciliés avec leur continent; ces Africains qui auront enfin compris tout le parti qu’ils peuvent tirer de cette unique et exceptionnelle occasion que l’Afrique leur donne en étant au début et à la fin de l’humanité. Être premier et dernier à la fois, quel autre continent jouit de ce privilège? Je dis premier, parce que c’est en Afrique que commença l’aventure humaine. Je dis dernier, parce que l’Afrique, estime-t-on, est le continent le moins développé. Mais nous nous situons aux deux extrémités à l’intérieur desquelles toute l’expérience humaine s’est déroulée. Nous sommes les bénéficiaires privilégiés de cette expérience dans son intégralité. Elle est à notre portée, nous pouvons y puiser, nous pouvons faire en sorte que l’Afrique en bénéficie pleinement.

 

Article rédigé par Dr. Farmo Moumouni, Philosophe, Enseignant Chercheur, ENS, UAM

Première publication : journal La Une du 15 au 30 mai 2014

 

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