Le Niger à la croisée des chemins

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Analyse et enseignements du projet Tazartché

Un mois après le succès partiel du projet de changement constitutionnel au Niger et la consécration de M. Tandja Mamadou comme président, nous revenons sur le déroulement de cette affaire  et tentons de tirer les enseignements politiques qui en découlent. 

Une décennie d’espoir trahie

Durant la décennie qui vient de s’écouler, bien que le peuple Nigérien n’ait pas réellement cessé de végéter dans la pauvreté et la résignation, quelques lueurs d’espoir ont illuminé l’horizon du Niger. En effet la stabilité politique, de plus en plus réelle et la perspective d’une future alternance démocratique apaisée, les négociations de contrats miniers prometteurs, une volonté affichée de lutter contre la corruption notamment dans le cadre d’une opération « mains propres » présidentielle…tous ces signaux positifs auguraient de belles heures à l’histoire du Niger.

À la lueur des évènements survenus ces derniers mois, certaines de ces actions présentées comme le « Grand bond en avant » Nigérien s’avèrent n’être que de piètres pièces d’un puzzle machiavélique qui allait déstabiliser l’ensemble des institutions politiques nationales, remettre en question les acquis démocratiques et renverser l’ordre constitutionnel. C’étaient les prémices du projet Tazartché. Ces évènements visaient en fait la déstabilisation  de tous ce et ceux qui pouvaient s’avérer de redoutables adversaires tout en faisant apparaître M. Tandja comme un homme d’Etat intègre et véritable garant des intérêts nationaux.

Opportunisme sous couvert d’intérêts nationaux ou chronique d’un coup politique annoncé

Ainsi en  mai 2007,  un groupe de parlementaires déposait une motion de censure contre le premier ministre issu de la mouvance présidentielle. L’objet de cette motion reposait principalement sur l’affaire MEBA, une affaire de détournement de fonds publics au ministère de l’éducation. Contrairement aux  précédentes et à la surprise générale la motion est votée et le gouvernement démis. Une première en Afrique !  Mais que retenir de cet abstrus dénouement politique : une démonstration de la bonne santé de la démocratie (certains journalistes africains ont qualifié le Niger de laboratoire de la démocratie) ou simple règlement de compte politique interne ? C’étaient là les questions que bon nombre d’observateurs nationaux et étrangers s’étaient posées. Pourquoi cette trouble affaire, qui relevait du budget 2005 et qui a fait l’objet de motions de censure infructueuses de la part des députés de l’opposition, empote le gouvernement de M. Hama Amadou en 2007 ? À l’époque, certains analystes y avaient vu l’aboutissement des pressions des pays étrangers, pourvoyeurs en fonds pour la bonne gouvernance. Certes le gouvernement de M. Hama Amadou n’était pas irréprochable, loin de là. Mais selon toute vraisemblance, quelqu’un, au dessus, avait lâché M. Hama Amadou et voulait désormais « sa peau ». En témoigne l’empressement avec lequel on l’a plus tard jeté en prison au nom d’une obscure affaire de fonds de publicité gouvernementale. Après l’ancien premier ministre, ce fut au tour des membres de l’Assemblée d’être inquiétés et là encore il y avait en cause un dossier  de détournements de fonds publics qui seraient commis par plusieurs parlementaires. Cette affaire a donné lieu à une cabbale médiatico-politique mémorable impliquant quelques pions de la société civile. Mais il faudrait chercher à comprendre comment l’organe d’audit interne de l’Assemblée Nationale n’a pu rendre compte de ces actes d’une extrême gravité qu’après un mandat et demi  de l’Assemblée.

     A cela s’ajoute la rébellion touarègue du nord du pays, une autre affaire inintelligible !  Pendant plus de deux ans, le gouvernement a qualifié cette rébellion de banditisme armé, animé par de trafiquants de drogue, ce qui justifiait le refus catégorique du président d’ouvrir un dialogue sur cette affaire qui menaçait sérieusement la paix et nuisait gravement au tourisme dans la région.  Cependant, en mai dernier, alors que les combats entre rebelles et militaires (fortement investis dans la zone) ont occasionné plusieurs pertes en vies humaines de part et d’autre, et contre toute attente, M. Tandja surprend tout le monde et annonce sa disposition à une solution pacifique et l’ouverture de négociations avec les rebelles. C’était lors des cérémonies de la pose de première pierre de la mine d’uranium d’Imouraren aux côtés des responsables de la multinationale française Areva. « Le président est prêt à discuter avec tous ceux qui acceptaient de déposer les armes », c’est la seule explication qui était donnée sur ce rebondissement. Ce coup de théâtre, pas encore élucidé, apparaît également comme un jalon de plus vers la consolidation du pouvoir de M. Tandja. 

Les « Grands chantiers », Tazartché et le bilan du « Programme spécial »

Les deux dernières années du second mandat de Tandja ont été des plus mouvementées. Soudainement, de « Grands chantiers » sont entamés : la construction du deuxième pont de Niamey, la raffinerie de Zinder, le barrage de Kandaji, la mine d’Imouraren,….  La presse publique nationale s’empare alors de ces dossiers ou du moins de leur vulgarisation, se désintéressant au passage des questions importantes : chômage des jeunes, insécurité alimentaire, tensions dans le nord du pays... Par la suite, ce sont des groupes de personnes qui ont pris le relais en organisant des manifestations et des déclarations qui invitaient voire suppliaient M. Tandja à rester au pouvoir pour « superviser et finaliser les Grandes œuvres salvatrices qu’il a engagées ».

Quelques mois plus tard, M. Tandja qui ne s’était jamais lassé de répéter qu’il quitterait le pouvoir au terme de son mandat déclare être attentif et prêt à répondre à l’appel du peuple si ce dernier insiste pour qu’il reste au pouvoir. Le Tazartché  qui se fomentait depuis de bons mois, est bien en marche. Puis une avalanche d’évènements va s’abattre sur la vie politique nigérienne : dissolution de l’Assemblée Nationale pour s’être opposé au projet de prolongation du mandat présidentiel, convocation par décret d’un référendum constitutionnel, décret pourtant déclaré inconstitutionnel par la Cour Constitutionnelle, dissolution de cette Cours Constitutionnelle… Autant de faits qui ont plongé les classes politique et intellectuelle du pays dans un débat de constitutionnalistes interminable. Les journalistes, du ressort desquels il était de suivre et d’informer sur l’état et l’avancement des politiques économique, éducative, minière,…se prêtent également au jeu du Tazartché. Mais que ce serait-il passé si les journalistes et le peuple en entier ne s’étaient pas faits distraire par des questions finalement malvenues dans un pays dont on a loué les avancées démocratiques et dont l’économie semblait retrouver des couleurs ?

Le « Programme spécial du président de la république », programme de développement dévoyé de ses objectifs et vide de stratégie, par exemple, n’a pas véritablement été passé au crible par les journalistes et observateurs de la scène politique afin d’en faire le bilan critique. Quelques mois avant de boucler son deuxième mandat, après dix ans d’exécution d’un programme « spécial », au moment on ne peut plus opportun de dresser les premiers bilans du programme, des populations réclament la poursuite des œuvres de M. Tandja ; la coïncidence est parfaite !

Cependant, les nigériens étaient tous en droit de savoir à quel pourcentage les promesses qu’on leur avait faites étaient  réalisées ? Un journaliste, même opposé au régime, doit accéder aux informations qui lui permettraient de faire le point sur le suivi accordé aux cases de santé ou n’importe quelle autre réalisation du gouvernement et du président, aussi « spéciale soit-elle ».

La liberté de presse n’est pas encore totalement acquise dans notre pays. Il est difficile de travailler avec des menaces d’arrestation qui planent et ce pour de simples expressions d’opinion. Depuis le début du Tazartché, plusieurs fois des radios ont été suspendues ou fermées (radio Dounia, RFI,…), il y a eu aussi des interpellations et même des arrestations en général arbitraires ou fantaisistes, les dernières victimes en date étant MM. Abdoulaye Tiémogo et Morou Amadou, respectivement directeur de l’hebdomadaire « Le Canard déchainé » pour l’un et porte-parole du Front pour la défense de la démocratie (FDD) et président du Front Uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques (FUSAD) pour l’autre. Les chefs d’accusations retenus contre eux sont officiellement « jet de discrédit sur un acte juridictionnel » (sic) pour le premier et « atteinte à la sûreté de l'Etat » (requalifié en « administration d’une organisation non autorisée » suite à la mise en liberté prononcée par la justice) pour le second. Le premier s’était permis, sacrilège suprême au pays de Tandja, de commenter la décision de lancer un mandat d’arrêt international  contre l’ancien premier ministre M. Hama Amadou. Le second a eu le malheur de lire une déclaration du FUSAD qui réclamait la réhabilitation de l'Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle dissoutes.

Autant dire qu’il y a un sérieux combat à mener pour la défense de la liberté de la presse et la liberté d’expression en général. Il ne s’agit  pas d’un combat pour les journalistes uniquement mais un véritable engagement collectif en faveur de la transparence, le droit d’informer, le droit d’accès à l’information « saine » et le droit de s’exprimer librement. Une presse véritablement libre est une condition nécessaire à la construction d’une société juste ; c’est aussi un fer de lance de la lutte contre la corruption et les manipulations politiciennes.

Enseignements du Tazartché et interrogations

Le Tazartché est désormais une réalité. Il est vrai que l’opposition continue sa lutte pour un retour à l’ordre constitutionnel et c’est louable. Pour ce qui nous concerne, nous pensons que l’on se doit de tirer des leçons de toute situation heureuse ou moins heureuse. Nous tirons ainsi deux enseignements essentiels de l’histoire récente du Niger. Nous vous les proposons ici.

 Le premier point est relatif aux différentes affaires que nous avons rappelées ci-haut. il n’est pas sûr que ces dossiers compromettants seraient mis au jour sans l’avènement de Tazartché ; il suffit de peu d’attention pour voir que la plupart de ces affaires étaient nécessaires soit pour lever un obstacle à ce projet ou tout simplement pour le « vendre » aux populations. Nous devons nous réveiller car si Tazartché – qui n’est pas une action salutaire – a permis opportunément d’entrevoir une des facettes sombres de l’administration nigérienne notamment avec les détournements exhibés à la Primature et à l’Assemblée nationale, nous pouvons légitimement imaginer une corruption encore plus massive et profonde. En plus du combat politique en vue de la restauration démocratique qui, s’impose aujourd’hui plus que jamais, au peuple nigérien d’exiger des comptes sur la gestion des biens de l’Etat, et de réclamer de la transparence et une meilleure justice sociale.

L’autre aspect  concerne le rôle de la presse et sa place dans nos institutions. Cet organe, qualifié de quatrième pouvoir sous d’autres cieux, et destiné à éclairer plus ou moins impartialement le peuple sur l’action publique peut jouer un rôle néfaste dès qu’il est détourné de son rôle principal. C’était le cas pendant ces quelques mois de tumulte politique dans lequel la presse privée a été presque noyée par des politiques d’intimidation et la presse publique tout simplement caporalisée pour le compte du Tazartché. Les victimes collatérales de cet embrigadement de la plume demeurent le peuple et la démocratie. Le peuple ne peut s’assurer de la crédibilité des informations qu’il reçoit et en devient incapable de discernement. L’expression démocratique devient biaisée et seul le plus fort est audible.

Quels moyens, quelle liberté pour la presse ? Le débat et la lutte pour la liberté d’expression est plus que jamais d’actualité au Niger.

Une nouvelle fois dans son histoire, le Niger est à la croisée des chemins. Mais aujourd’hui plus qu’hier, la lutte en faveur de la démocratie et de la transparence, la défense de la liberté d’expression et le combat pour la justice sociale seront fondateurs d’un nouvel ordre, l’avènement d’une nouvelle génération.

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