Un retour sur la crise sociopolitique que connaît le Niger en 2009

Version imprimableEnvoyer à un amiVersion PDF

L’année 2009 entrera très certainement dans l’histoire politique du Niger. Pour les uns, elle est en effet, à cette date, l’année de tous les miracles, pour les autres, l’année de la grande « défaite ». Entre les deux, se trouve, dans une certaine mesure, le peuple du Niger, au nom de qui on prétend vouloir tout faire, tout donner, … Mais revenons au premier groupe. Le camp de « l’année miracle », il n’en est peut-être pas tout à fait conscient, a réussi ce qu’on peut qualifier de « travail de maître » en empruntant les mots de notre ancien premier ministre. Comment comprendre dans un monde où le respect du jeu démocratique, dont le respect de la constitution constitue un pilier majeur, semble indispensable, non négociable, a été si facilement ignoré. Nous n’allons pas jusqu’à parler de coup d’Etat civil, mais une chose est claire : tout a été fait et vraiment tout pour changer la constitution. En réalité, sur la scène internationale, « changer la constitution » est une chose qui se fait tous les jours. Chaque pays y va de son pas de danse pour modifier sa loi fondamentale pour répondre à des exigences internationales, des besoins nationaux, pour être moderne, « adapter le texte aux réalités locales », satisfaire les caprices d’un seul… Ainsi, modifier ou « changer » de constitution n’est pas a priori une chose condamnable encore moins un sacrilège. Ce qu’il faut regarder est qu’est ce qu’on change ? Pourquoi on le fait ? Pour proposer quoi ? Telles sont entre autres des questions sur lesquelles on doit se concentrer chaque fois qu’un Président ou le « Peuple » souhaite modifier la constitution. Au niveau de notre cher continent (et dans une certaine mesure en Amérique latine), la modification de la constitution qui fait le plus de bruit est celle qui porte sur le mandat présidentiel et plus exactement sur la limitation de son nombre. Il faut dire que le continent a été piqué à une certaine période par le virus qui copiait « pas plus de deux mandats par Président » sur toutes les constitutions. Au moment de la rédaction, cela ne pose pas de grand problème mais, au vue du déroulement des choses, cela serait une faiblesse d’esprit que d’admettre que nos hommes politiques croient en une telle clause. En effet, entre tentatives avortées de suppression de cette disposition (Nigeria…); réussies (Cameroun, Algérie, Niger,…) et en cours (Burkina Faso), on est en droit de dire « de qui se moque-t-on » ? Revenons à notre pays. Ce dernier a été le centre du débat politique ouest-africain depuis que notre président a décidé ouvertement de supporter le projet « Tazartché » (ou continuité en Français) qui proposait un « changement » de constitution pour une nouvelle ne contenant pas une limitation des mandats présidentiels et accordant une sorte de transition de trois ans au président pour finir les « projets en cours. » Lorsque le Cameroun a supprimé la limitation du nombre de mandats, le monde entier regardait du côté de la guerre que se livraient la Russie et la Géorgie ou suivait les Jeux Olympiques Chinois. Dans le cas de l’Algérie, l’absence d’une opposition assez forte et la complexité des rapports entre la France et ce pays, ont été les raisons pour lesquelles la presse « internationale » s’est pratiquement contentée de nous rapporter que l’Assemblée algérienne a modifié la constitution pour permettre au président de briguer le nombre de mandats qu’il souhaite ou que sa durée de vie permette ! Le cas de notre pays demeure cependant inédit avec le « bonus » de trois ans que le président dispose pour finir ses « chantiers » en plus de la suppression de la disposition gênante qui limitait le nombre de mandat à deux. Malgré aussi des relations assez tendues avec la France qui limitait l’action de cette dernière car elle semble avoir besoin de l’uranium du Nord du Niger, la nouvelle a fait le tour du monde. Peut-être parce que le président, devenu ouvertement « pro-tazartché », a coupé en deux pour ne pas dire supprimé tout ce qui s’oppose de manière institutionnelle ou peut s’opposer à son projet ? Car, après l’Assemblée Nationale qui devenait « instable » tendant à devenir « anti-tazartché », c’est la Cour Constitutionnelle qui a subi les foudres du Président ! Tout ce beau monde s’est retrouvé hors jeu. Une nouvelle Cour Constitution a été mise en place. Quant à la mise en place d’un nouveau parlement, quoique dans un premier temps fixé dans les conditions fixées par ce qui allait devenir l’ancienne constitution, a été finalement prévu dans le cadre de celles définies par la nouvelle constitution qui allait être votée. Et pendant tout ce temps, « l’opposition » politique classique qui a été rejointe par des associations de défense de la démocratie, des syndicats, des ONG, … criaient au scandale avec parfois des déclarations incendiaires et des promesses d’actions pour rétablir l’ordre constitutionnel. L’opposition comptait aussi considérablement sur un soutien de la communauté internationale. Elle relayait toute condamnation du projet par un Etat occidental ou une organisation internationale ; rappelait les menaces de sanctions contre le Niger,… L’opposition espérait profiter de l’activité diplomatique à Niamey qui était à son plus haut niveau: des émissaires de l’ONU, de l’Union Africaine, de la CEDEAO, des associations africaines de défense de la démocratie,… Certains affirment être là pour apaiser le climat en relançant les discussions entre les protagonistes et d’autres pour tenter de dissuader le président de tenir le référendum. En résumé, voici le décor général fixé ! Pendant ce temps, ce qui se raconte à Niamey est très surprenant. Par exemple, certains affirment que si la modification ne comportait pas de « bonus » pour le président, le projet serait acceptable. Pour d’autres, tout serait acceptable si l’actuel président s’interdisait de se présenter; en quelque sorte, préparer le terrain pour le prochain président. Pour d’autres encore, c’est le moment qui est mal choisi : pourquoi avoir attendu pratiquement le dernier moment ? Il fallait faire la modification en 2007 et mieux, au cours du premier mandat du président entre 1999 et 2004 ! Pour d’autres, la question devrait être discutée dans le cadre de concertation que le Niger a mis en place (Conseil National de Dialogue Politique-CNDP) afin de permettre à toutes les parties prenantes d’avoir leur mot à dire au lieu que cela soit un projet défini et conduit uniquement par le président et ses alliés faisant fi des positions des autres. Enfin, il convient de noter la position assez tranchée des purs opposants : le président devrait arrêter le projet. Pour les plus « radicaux » d’entre eux, le président devrait se démettre et la justice poursuivre tous ceux qui ont soutenu le projet - dont le président lui-même - pour « haute trahison ». On peut bien se demander l’impact de telles déclarations sur la motivation de ces derniers. Pour les médias et la presse, les positions étaient aussi tranchées. La radio et la télévision publiques passaient la moindre seconde à faire connaître les actions du président (son « Programme Spécial »), à vanter leurs mérites, et surtout à mettre l’accent sur les « chantiers » en cours… N’oublions pas que ce sont eux qui justifiaient le bonus de trois ans. Du côté du privé, la plupart des journaux semblent être « anti-tazartché ». Mais leur opération majeure a été une « journée sans presse » qui n’a pas été renouvelée, sans doute en raison de son coût. D’ailleurs, certains journaux n’ont pas suivis le mot d’ordre de grève car estimant officiellement que plus que jamais le nigérien devrait être informé de ce qui se passe dans le pays. Quant aux chaînes télévisées privées, deux semblent assez « neutres » diffusant les informations sur les activités des deux clans pro et « anti-tazartché ». Une chaîne par contre semble quant à elle avoir fait son choix : être « anti-tazartché ». Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une suspension par le Conseil Supérieur de la Communication avant que la justice déclare illégale la fermeture ordonnée par le CSC. Elle constitue le média relai qu’utilise l’opposition pour se faire entendre, pour mettre en garde contre les « dérives » du président et les « menaces » contre la démocratie, pour inviter les gens aux meetings,…
Revenons maintenant à l’opposition. Le moins que l’on puisse dire, même si naturellement elle vise un seul but à savoir l’abandon du projet de révision constitutionnelle, elle est constituée d’une pluralité d’acteurs dont les intérêts étaient encore il y a quelques mois (très) divergents et leurs positions opposées. Certains dénoncent déjà la présence simultanée dans ce mouvement des syndicats et des partis politiques. De même, ils dénoncent l’association entre les ONG qui hier dénonçaient les pratiques des hommes politiques dans la gestion des deniers publics avec les mêmes hommes politiques. Cette classe politique opposante est d’ailleurs pour beaucoup réunie dans ce camp par une sorte d’ironie du sort. Au delà de l’absence de stratégie commune bien définie pour faire aboutir leur revendication, l’opposition politique est marquée par une incompatibilité d’humeur entre ses chefs. Aucun de ces derniers n’est pris comme leader du groupe ni d’ailleurs aucune autre personnalité clairement définie. On assiste à des réunions qui se tiennent aujourd’hui par ci, demain par là dans les différents sièges des partis ; des prises de parole à tour de rôle par formation politique au lieu d’un porte-parole unique,… On a l’impression qu’aucun parti ne veut être moins visible dans la « lutte »qu’un autre. Mais, la mise en commun de leur force par toutes les parties opposées au référendum est plus qu’indispensable pour donner une chance à leurs revendications d’aboutir. Par ailleurs, pour beaucoup et même en son sein, l’opposition a commis une erreur monumentale en refusant de participer au référendum. Il fallait partir même si le référendum était anticonstitutionnel, illégal,… Ce choix de boycott s’avère du reste concluant du moins cohérent car une participation de l’opposition au scrutin l’obligerait à accepter les résultats ; sachant qu’une défaite du « Oui » était très faiblement envisageable ! Pendant ce temps, le clan supportant le projet, uni, beaucoup mieux organisé et disposant en plus des moyens de la « puissance publique » n’a ménagé le moindre effort pour faire aboutir son projet. On a même vu des chansons type « Dan dali soyaya » (très aimées au Niger) à la gloire du président passées à la télévision nationale et sur certaines télévisions privées. Des affiches géantes pour un « Oui massif » étaient visibles sur tous les grands axes de Niamey. Ça et là, des tentes où des jeunes et moins jeunes « tazartchistes » écoutent de la musique sous les couleurs des partis soutenant le président. Des photos de ce dernier et des leaders des partis le soutenant sont affichés un peu partout ; de même que des déclarations sur des banderoles de soutien de telle ou telle organisation socio-professionnelle. L’opposition rappelons-le pendant ce temps déclarait seulement qu’elle allait tout faire pour « empêcher la tenue du référendum » et ce par « tous les moyens ». C’est dans cette atmosphère qu’intervint la date fatidique du 04 aout. A Niamey, plus d’un étaient inquiets. Beaucoup craignaient des violences surtout que certaines tentes des « tazartchstes » ont été brulées. Ce qu’il faut remarquer est l’intervention – assez inédite- des leaders religieux quelques jours avant le référendum. Ils ont appelé les uns et les autres au respect, à la sauvegarde de la vie et à la non-violence. Le jour des élections, un calme manifeste régnait à Niamey le matin. Beaucoup sont dans un premier temps restés chez eux ; c’est l’après midi que les gens ont commencé à sortir certainement car aucun écho de violence n’a été entendu. Pour tous les observateurs et les acteurs « pro et anti-tarzartché », le véritable enjeu de ces élections est le taux de participation. C’est alors une guerre de chiffres qui commence : pour l’opposition, pas plus de 5% de nigériens sont venus voter alors que le gouvernement parlait de 70%.
Il est naturellement loin de croire que c’est fini ! Ce que nous avons relaté ici s’arrête pratiquement au lendemain des élections. A regarder de près, l’après élection risque d’être la période la plus « dangereuse » pour notre pays. Quelle stratégie va adopter l’opposition pour se faire entendre cette fois-ci ? Que va faire le clan gouvernemental ? Et la communauté internationale, restera-t-elle toujours à faire des « déclarations » et « menaces » qui semblent ne pas décourager le pouvoir ? Et enfin, le Peuple, lui qui est le premier concerné, que fera t-il : grossir le camp de l’opposition ou encore rester sans rien faire pour devenir pour le moins complice de ce qui se passe ? L’avenir nous édifiera. Mais une chose est sûre : le Niger a plus que jamais besoin des gens sincères pour être à sa tête.