Construire par la science: Que faudrait-il attendre de l’enseignement supérieur et la recherche au Niger ?

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La recherche permet le développement de la connaissance scientifique et technologique. Les efforts de recherche à travers le monde ont permis au cours des siècles passés des avancées considérables dans différents domaines et participé à la construction des pays. L’enseignement supérieur, pour sa part, permet de former des ressources humaines de haut niveau. Il renforce les performances d’un pays en termes de ressources humaines et de capacités économiques, notamment. La recherche et l’enseignement supérieur sont aujourd’hui indispensables pour le développement et l’essor de nos sociétés. Nous avons tenté dans cet essai de discuter, dans le cas du Niger, les rôles importants que pourraient jouer l’enseignement supérieur et la recherche pour contribuer à la résolution de plusieurs défis actuels. Notre approche n’est pas exhaustive et tente de mettre en exergue des éléments de réflexions importants parmi d’autres.


La science, patrimoine culturel et outil de développement

Le savoir est un des patrimoines les plus dynamiques et les plus importants des sociétés humaines contemporaines et passées. Les différentes civilisations à travers l’Histoire ont fait évoluer en permanence ce savoir, les outils de son acquisition et les voies de sa valorisation. La science moderne est une émanation plus récente du processus de développement intellectuel et culturel des sociétés. Elle a émergé d’une contribution historique conjointe, interconnectée et complexe des diverses civilisations qui ont eu cours à travers l’Histoire. Cette science moderne a formalisé des approches méthodologiques rationnelles permettant de repousser chaque jour un peu plus les limites de la connaissance. La recherche est l’activité scientifique majeure permettant de questionner notre connaissance et notre compréhension de différents objets de l’univers (le vivant, l’environnement physique, les sociétés humaines et leur organisation…); elle construit et fait évoluer la science moderne. Elle permet de mener des investigations, d’analyser des objets simples et des systèmes plus ou moins complexes de l’univers. De même, la recherche permet d’analyser méthodologiquement des problèmes théoriques et pratiques et leur proposer des solutions basées sur la connaissance. Les approches dites de « recherche appliquée » ou de « recherche et développement », en l’occurrence, participent d’une démarche très pragmatique de la science par rapport aux besoins humains. La recherche a énormément participé à l’essor rapide des pays industrialisés, même s’il est important de ne plus jamais oublier les limites et les erreurs liées à des applications aberrantes ou imprudentes de la science, depuis notamment le 20e siècle. Mis à part ces limites, nombre de techniques et d’applications aujourd’hui très utiles voire indispensables  à nos sociétés ont été dérivées de la recherche et de la connaissance scientifique. C’est le cas, par exemple, de la révolution informatique du 20e siècle, des techniques de pointes de la médecine contemporaine, des techniques agricoles modernes etc. Tous ces résultats de la recherche contribuent précieusement à l’amélioration de la vie des populations à travers les pays qui ont su les développer et/ou les mettre en œuvre. Même les pays scientifiquement peu investis bénéficient relativement du transfert de technologies, quoique leur position de « consommateurs paresseux » des résultats de la science et de la technologie ne soit pas souvent la plus enviable. Ces pays doivent pour tirer meilleur partie renforcer leurs capacités de recherche et de développement de la connaissance (Sanyal and Varghese, 2007). Quelque soit leur niveau d’investissement dans les activités scientifiques, toutefois, nos sociétés actuelles ont façonné la recherche en une activité formelle,commandée par les gouvernements publics ou des entreprises privées. Les différences sont énormes en matière de politique, de pratique et de performance de la recherche et de l’enseignement supérieur selon les pays. Nonobstant ces différences, on peut dire que l’approche scientifique révolutionne, partout, notre connaissance du monde, nos cultures, nos modes de vie (électricité, hydraulique, santé, alimentation) et nos économies (applications industrielles, économie du savoir). Elle représente un patrimoine culturel universel et un outil fécond de développement.

L’enseignement supérieur, un foyer de science et d’éducation avancée

L’enseignement supérieur permet une instruction et une éducation de haut niveau en milieu universitaire ou assimilé. Il fournit des ressources humaines compétentes pour l’administration publique et privée. Le niveau d’éducation dans l’enseignement supérieur favorise les capacités de développement technologique (recherche et développement dans les industries et entreprises).  Il favorise aussi, de part la culture et les capacités intellectuelles qu’il transmet, l’autonomie de pensée pour un pays, la fécondité des débats sociaux et l’innovation en terme de réflexion pour la satisfaction des besoins humains. Le niveau d’éducation avancé qui peut être atteint grâce à l’enseignement supérieur renforcerait donc certainement la capacité de nos pays à affronter la complexité grandissante des problèmes (économie mondialisée, changements climatiques, défis environnementaux…), par une approche basée fondamentalement sur la connaissance. Un lien à double sens existe entre l’enseignement supérieur et la recherche. Cette dernière recrute ses ressources humaines de l’enseignement supérieur, elle participe aussi à la formation dans l’enseignement supérieur. Les milieux universitaires, de tradition, ont souvent su, de façon efficace, faire coexister et interagir ces deux composantes.

Qu’attendre de l’enseignement supérieur et de la recherche au Niger ?

Le Niger, comme d’autres pays semblables, est en mal de solutions efficaces aux défis que sont, entre autres, la sécurité alimentaire, la santé publique, l’éducation,  l’organisation et la gestion sociopolitiques, le développement économique et l’intégration dans un monde en mutation permanente. Depuis les années d’instauration officielle de la démocratie (années « 90 »), les « nouveaux espoirs » des populations nigériennes ont reposé sur une élite intellectuelle et/ou politique qui a souvent promis des stratégies et des programmes de développement. Cette élite, et ses « stratégies », n’a cessé de décevoir les populations par ses échecs récurrents, ses égoïsmes parfois criminels et, très souvent, par son déficit à peine camouflé de compétence technique. Le personnel administratif et technique également, à différents échelons, montre souvent au travail des comportements éthiquement peu corrects (corruption, paresse) et techniquement peu appréciables. Pour amorcer et maintenir un changement efficace, et parmi bien d’autres nécessités, un travail de réforme du niveau général éducatif doit être accompli. Une grande partie de cette réforme éducative devrait passer par l’enseignement supérieur. Dans ce sens, la tendance à la médiocrité et au travail mal-fait dans les services publiques (et même privés), et l’insuffisance de compétence technique des cadres et surtout des dirigeants politiques et administratifs devrait être renversée. Cela passera par la formation de jeunes capables de révolutionner le service publique et d’innover en matière de conception et de gestion des affaires administratives (mise en œuvre de spécialisations informatiques, de la recherche opérationnelle, de méthodes statistiques et économétrique récentes, d’approches de développement innovantes, de technologies modernes de management…). Ce processus, qui devra être essentiellement basé sur une politique adéquate de l’enseignement supérieur, sera une étape importante et décisive de la modernisation et de la rénovation de l’administration publique et privée (et de tout staff professionnel en général). La stratégie d’adaptation au temps de toute administration publique ou privée au Niger devrait reposer, entre autres, sur la réactivité et la performance de l’enseignement supérieur. Cette réactivité devra se traduire par un souci permanent d’actualisation des programmes et une évolution de l’architecture des filières, des méthodes et des outils d’enseignement. La performance de l’enseignement devra se mesurer à la capacité de l’université (et des établissements d’enseignement supérieur) à assurer à la sortie les besoins des services publics et privés et des entreprises en cadres compétents. Pendant que l’université de Niamey se cramponne encore sur ses anciennes filières très généralistes et mal actualisées (à l’exception de quelques changements récents près), les meilleures universités à travers le monde ont souvent su s’adapter aux besoins et à la réalité des temps modernes en offrant des formations à la fois solides sur le plan théorique et professionnellement compétitives. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire la négation simpliste et sans réserve de la compétence des anciens cadres ou des diplômés formés par le système en vigueur; mais force est de constater que, faute par exemple de formation continue, beaucoup de ces cadres n’ont jamais su intégrer les connaissances et les techniques les plus récentes ; or la science, la technologie et les savoirs sont en perpétuelle évolution. Les établissements d’enseignement supérieur, alors, devraient aussi servir de cadre pour l’actualisation des outils et connaissances des cadres déjà en exercice (formation continue). Cette réforme doit aussi avoir des visées quantitatives, car l’effectif formé dans l’enseignement supérieur est relativement faible au Niger, comparé à différents pays même similaires (Institut de statistique de l’UNESCO, 2008). D’autre part, en s’investissant davantage dans l’enseignement supérieur, le Niger réduira considérablement  sa dépendance relative en ressources humaines extérieures; cette dépendance, en effet, est politiquement peu stratégique, économiquement coûteuse et éthiquement peu acceptable. En outre, les filières technologiques de l’enseignement supérieur devraient être élargies et actualisées. Cela  permettra au Niger, même à moyen terme, d’améliorer substantiellement sa croissance économique, car de ces formations s’érigent de potentiels entrepreneurs et des cadres d’entreprise techniquement outillés et en phase avec les connaissances les plus récentes au niveau international. Cette démarche sera facilitée lorsque les formations intègrent efficacement une approche professionnalisante adéquate, et lorsque la valorisation des diplômesde  l’enseignement supérieur est couplée avec une facilité (et une transparence) à l’embauche dans les entreprises et à l’encouragement de entrepreneuriat des jeunes. Diverses études montrent que le niveau d’éducation exerce un effet significatif sur le niveau de croissance économique dans différents pays (Chen and Dahlman, 2004). Le taux de scolarisation, le taux de ressources humaines formées à l’enseignement technique et supérieur, par exemple, ont pu être corrélés au taux de croissance économique dans différents contextes.

Sur le plan des activités de recherche, un développement de programmes adéquats devrait permettre au Niger de tirer plusieurs bénéfices. On peut envisager une réponse efficace aux problèmes récurrents des populations par des efforts nationaux de recherche scientifique bien orientée. Jusque-là, face aux problèmes, les solutions servies aux populations par les hommes politiques ont été mal adaptées car basées notamment sur peu de connaissance; elles n’ont jamais résolu de façon complète et durable les problèmes cruciaux des populations (malnutrition, maladies, pauvreté, analphabétisme, fragilité des systèmes sociaux). Or ces problèmes sont souvent complexes, et le rôle des chercheurs devra être de mener des investigations pointues, de penser des solutions  par des approches méthodologiques et de proposer en aval des expertises sérieuses aux pouvoirs publics qui prennent les décisions. La recherche agronomique, par exemple, devrait permettre d’assurer les bases dynamiques d’une sécurité alimentaire dans un contexte marqué par une démographie en forte croissance, des conditions climatiques difficiles (la bande sahélienne enregistre un déficit pluviométrique important depuis 40 ans), et des conditions économiques peu favorables (la pauvreté des producteurs).  La limitation actuelle de la production nationale agricole et la faible performance agronomique sont loin, très clairement, d’être invincibles si des programmes de recherche soutenus sont mis en place. Sur le plan médical, il est urgent de mener des travaux de recherche plus contextualisés, pour localement compléter les efforts internationaux et sous-régionaux dans la lutte contre  des maladies très mortelles comme la méningite, le choléra et le paludisme. Dans le même sens, des recherches sur la médecine d’origine traditionnelle et sur les plantes médicinales, par exemple, pourraient également à terme réduire la dépendance pharmaceutique quasi-totale du Niger. Ces programmes de recherche nationaux devraient être suivis de programmes d’application et de transfert de technologie adéquat sur le terrain. Par ailleurs, le transfert de technologies importées de l’extérieur devrait également impliquer plus les chercheurs locaux, sur le plan agricole par exemple. Des expérimentations locales devraient faire passer au crible les technologies candidates avant leur adoption au Niger, afin de garantir les bases scientifiques de ce transfert et l’exigence de résultats sur la base d’expérimentations solides. Les travaux de recherche pourraient aussi éclairer les intellectuels et les populations en général, et alimenter davantage les débats nationaux par des éléments d’analyse précieux. Dans la foulée, les questions politiques, sociales, énergétiques devraient s’analyser en tenant compte de la connaissance scientifique (résultats de la recherche) et s’enrichir d’avis scientifiques avant de faire l’objet de décisions politiques. Nous remarquons que le cadre d’une telle concertation savante est actuellement peu existant au Niger. L’effort de recherche nationale (et de formation en enseignement supérieur dans une certaine mesure) apportera aussi sans nul doute des alternatives locales basées sur le progrès universel des sciences et technologies.  Sur le plan économique, par exemple, les programmes télécommandés par les bailleurs de fonds n’ont le plus souvent causé que désolation et déception. Dans ce contexte, un travail scientifique national ou sous-régional adéquat pourrait apporter des éléments pragmatiques pouvant orienter les politiques publiques et faire émerger  un renouveau du cadre économique chez les populations (approche originale de microfinance, création d’activité économique innovante, soutien aux filières compétitives…). Les recherches dans les sciences humaines et sociales sont également nécessaires pour appuyer la promotion culturelle, les débats de société, le développement de la politique et de la gouvernance. Ces sciences sociales sont aussi la voie pour une meilleure connaissance et une redécouverte utiles de nos savoirs locaux, de l’histoire, des spécificités et des dynamiques de la société nigérienne. Enfin, dans le contexte de développement technologique mondial pointu et de compétitivité en frontières poreuses (celles de la mondialisation), le Niger devra, pour se mettre à un niveau acceptable parmi ses pairs, développer des ressources humaines valables et des programmes d’échanges (économiques, politiques) basées sur de la connaissance scientifique, donc basées sur la recherche dans une certaine mesure. L’implication des entreprises privées dans la recherche pourrait supporter le financement de la recherche et la performance des entreprises et des industries, et améliorer les revenus du pays. Les modalités d’un tel investissement sont à discuter et à définir dans un cadre à la fois sociétal, éthique et économique au Niger où le développement des  entreprises est encore embryonnaire.

Conclusion

Nous estimons que les efforts de recherche et de développement de l’enseignement supérieur seraient un atout considérable pour  supporter, par le progrès scientifique (recherche) et la qualification des ressources humaines (enseignement supérieur),  une évolution efficace et cohérente vers des conditions de développement plus enviables. Ce développement devrait englober toutes les dimensions importantes de la vie d’une société, notamment les aspects sociaux, culturels et économiques. Pour arriver à une réforme conséquente et à des résultats efficaces de la recherche, les limites actuelles doivent être analysées et surmontées, et les stratégies nationales doivent évoluer.

Littérature citée :

Chen Derek H.C. and Carl J. Dahlman, 2004. Knowledge and Development: A Cross-Section Approach. World Bank Policy Research Working Paper No. 3366. Disponible en ligne sur SSRN.

Institut de statistique de l’UNESCO, 2008. Recueil de données mondiales sur l’éducation 2008. Statistiques comparées sur l’éducation dans le monde.  Montréal, Canada, UNESCO-ISU, 2009. 295 p. Disponible en ligne sur le site de l'UNESCO.

Sanyal Bicas C.  and N.V. Varghese, 2007. Knowledge for the future: research capacity in developing countries. Research papers IIEP.  UNESCO, IIEP. 20 p. Disponible en ligne ici.

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