Sans plan, l'éloge des opportunités

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Abdoul Moumouni Nouhou

Par Abdoul Moumouni NOUHOU

Abdoul M. Nouhou est actuellement doctorant en démographie à l'Université de Genève. Ses travaux portent sur les choix en matière de fécondité dans une perspective d'autonomisation des individus, les femmes notamment. Statisticien et Démographe de formation, il a auparavant travaillé successivement pour le compte de l'Institut National de la Statistique (Niger) et du Programme Alimentaire Mondial.

Il souhaite partager ici avec les jeunes nigériens quelques conseils d'orientation pour la construction de leur parcours académique et de vie.

 

Sur le chemin de l'école, en montant la pente qui mène vers l'université ou vers son futur lieu de travail, l'élève grandit. Les raisons pour lesquelles il va à l'école évoluent et se précisent davantage. Le cœur tonique de l'adolescent pragmatique sent vaguement venir les choses. Désormais, il s'interroge sur demain. Et bientôt, après le Lycée, il doit choisir entre être Médecin, Banquier, Pilote, Agronome, Sociologue, Architecte, Informaticien, etc. La liste est longue, mais peu importe. Il y a trente-six mille raisons de choisir une voie. Le tout et de savoir comment s'y prendre. C'est là que se situe mon propos. Mais rassurez-vous, je ne liste pas des consignes à respecter et je ne donne pas non plus des conseils formels ou à la mode. Simplement, je partage une certaine vision de choses à la lumière de mon expérience personnelle.

1. Des conseils formels ou à la mode

De manière formelle, on vous dit qu'il vous appartient de savoir ce qui vous convient comme métier, ce que vous avez toujours rêvé être depuis votre tendre enfance. J'ai souvent lu qu'il fait bon vivre quand votre passion coïncide avec votre métier. Et nous sommes d'accord qu'il est plus facile d'exceller dans un métier qu'on exerce avec plaisir. C'est joindre l'utile à l'agréable. Pour rester à la mode, on vous ajoute sobrement qu'il vous faut les conseils d'une personne expérimentée, quelqu'un qui puisse vous renseigner clairement sur les secteurs porteurs ... Quand vos questions commencent à devenir complexes, on vous conseille enfin d'avoir un plan, car, semble-t-il, on ne parvient à rien sans planification. Après tout, il est évident qu'on ne puisse rien bâtir de bon sans plan préalable. Sauf peut-être dans mon village, où de toute façon, votre maison sera identique à celles des autres.

Comme personne ne m'a jamais demandé ce que j'aurais voulu être après mes études, et que je n'avais moi-même qu'une idée vague de ce que je pourrais faire plus tard, et que je n'avais donc pas de plan précis quand j'avais votre âge, ... je me sens mal placé pour vous donner ces beaux conseils. Par contre, je suis bien à l'aise pour partager quelques suggestions pratiques et chargées de réalisme.

2. Circonstances et destinée

Tout dernièrement, lors d'une activité scientifique, j'ai eu la chance de côtoyer une personnalité qui m'inspire beaucoup. Directeur d'un grand centre de recherche et de formation, professeur dans sa discipline, ce Monsieur nous a parlé de son parcours académique. Il nous a expliqué sans ambages comment il était arrivé, par hasard, à son domaine d'études actuel. Tout a commencé avec une affiche lue par hasard, une candidature déposée, puis le concours, les résultats, les études, etc. Des histoires semblables sont nombreuses autour de vous. Ce fut mon cas, ce fut le cas de beaucoup de mes amis, tous aujourd'hui comblés et fiers de nos modestes contributions, chacun dans son domaine.

Mon parcours, comme ceux de toutes ces générations "sans choix" illustre bien les notions de gestion d'incertitudes et de valorisation des opportunités. Je voulais être médecin. J'ai alors abandonné mes études de technicien supérieur dans une école des mines pour m'inscrire à la Faculté des sciences de la santé. Cela ne me convenait pas. Par un concours de circonstances, j'ai fini par rejoindre une école de Statistiques. J'aurais pu aller dans une école d'Architecture ou d'Avion Civile. L'astuce ? Concourir à plusieurs formations dont l'admission nous donne droit à une bourse d'études. Le luxe de choisir s'obtient en cas d'admission à plusieurs concours. Comme je ne trouvais pas de travail après mes études en Statistiques, j'ai alors opté pour une spécialisation en Démographie. Ce virage fut le résultat d'une conjonction de circonstances: le manque de travail et la disponibilité d'une bourse d'études.

Quelques années passèrent. Je devais réaliser une ambition que je nourrissais, le rêve de découvrir l'Europe dans le cadre d'une thèse de doctorat. J'ai de l'engagement et il y a toujours des opportunités. J'en avais alors saisi une qui m'a conduit à l'Université de Genève. Ici, des amis m'interrogent parfois "pourquoi as-tu choisi Genève pour tes études ?". Je leur réponds honnêtement que je ne sais pas. "Choisir" n'est pas le bon mot, il dénature le sens de la question. Celle-ci devrait être plutôt "comment es-tu arrivé à Genève ?". Je pourrais alors répondre aisément, en mentionnant les opportunités et les étapes, mes rêves et mes espoirs. Bref, ... raconter.

3. Des conseils situés

"En raison de l'apparition continuelle d'événements imprévus, un plan ne peut jamais contrôler entièrement l'action. Agir, ce n'est pas construire puis exécuter des plans ; c'est avant tout s'ajuster à la situation et répondre aux contingences." -  Frédéric Laville 

La gestion des projets nous apprend toute l'importance de la planification. Mais nous gérons des projets personnels, parfois complexes, avant même l'apprentissage théorique du management des projets. Alors, quand il s'agit de s'orienter pour la vie, dans un contexte difficile et incertain, les frontières de certains concepts préétablis peuvent être allégrement bousculées. Bien sûr, la meilleure chose pour chaque élève serait de construire progressivement son chemin, en pensant dès le départ à ce qu'il projette d'exercer comme métier. Mais cette situation est un luxe rare, à la limite une utopie pour beaucoup d'élèves en Afrique et particulièrement au Niger. Les études coûtent et la rigidité encore plus.

Mon premier conseil pour les élèves et les jeunes étudiants est donc d'être flexible et ouvert. Si la destination est la réussite, alors l'essentiel c'est d'avancer, de toujours aller de l'avant. Par la suite, vous pourrez toujours aller tout droit ou négocier un virage. C'est comme dans un tunnel. Plus on avance, plus on voit clair. Et l'ajustement du volant est spontané, presque sans effort. La vivacité de saisir les opportunités peut ainsi compenser un plan fragile. Notez que la disponibilité d'un plan bien tracé ne nous met pas à l'abri d'un virage. Il y a le goût de l'aventure et il y a des imprévus. Ce sont des réalités du parcours.

Mon deuxième conseil est d'agir. Avec ou sans plan, si nous n'agissons pas, nous n'avançons pas. S'informer d'abord, ouvrir bien les yeux et tendre la bonne oreille. L'internet est aujourd'hui pour vous un atout, un allié-savant. Trier ensuite les opportunités disparates. On se facilite le travail de préparation en ciblant des voies potentielles. Il n'est pas productif de courir dans toutes les directions. Essayer enfin de saisir votre chance pour avancer: les dossiers sont à préparer avec soin et les concours à passer assidûment. S'informer-trier-essayer, ce trio fonctionne à tous les coups ... ou presque.

Mon troisième conseil est une bonne nouvelle : même si elles tardent, les opportunités finissent toujours par arriver. Et si jamais elles n'arrivent pas, vous pouvez toujours les créer et vous en servir. Vous êtes jeunes et il faudra certainement du soutien pour cela. Votre volonté d'aller de l'avant peut est déterminante. C'est elle qui peut mobiliser vos proches et d'autres soutiens potentiels. Et ici, la volonté va de pair avec le courage. Inutile de le dire, le courage est partout nécessaire.

La leçon finale est qu'il n'y pas de place pour la rigidité dans des contextes incertains. Les gagnants sont ici vivaces, flexibles et toujours déterminés à aller de l'avant. Ils sont prêts aux compromis, avec eux-mêmes, avec la famille, avec le temps. L'engagement et la conviction vous conduisent tôt ou tard à ce que vous auriez planifié si vous aviez eu le luxe de choisir dès le départ. Le secret réside dans l'espoir que vous avez de parvenir toujours à une belle destination, à quelque chose de positif, indépendamment du chemin emprunté. Peu importe les différences de forme, ce sont la bonté et la beauté des finalités qui comptent. Pour finir à propos de la planification, je paraphrase un ami pour qui, le plan est important pour au moins une chose: savourer le plaisir de le modifier à tout moment, un plaisir que vous manquerez si vous n'avez pas de plan du tout. Est-ce toute la différence ?

 

 

Parcours de l'auteur :

Voir sa page sur le site de l'Université de Genève

Commentaires

Merci

Merci à Floraine S. pour la relecture et les discussions.

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